L’été dernier, au cours de ma lecture du livre « Chroniques du ciel et de la vie » par Hubert Reeves, un chapitre m’a particulièrement marquée: « Chapitre 20: Animaux « nuisibles » et « mauvaises herbes1 ». Si vous avez déjà entretenu un jardin, vous connaissez les mauvaises herbes, et vous ne les tenez probablement pas dans votre cœur. Le Larousse les définit comme étant des « plantes nuisibles aux cultures2 ». Bien que cette définition demeure vague, nous avons souvent, avec le temps, associé ce terme à certaines espèces de plantes tenaces qui viennent s’incruster dans notre image d’un joli terrain bien entretenu.

Quatre espèces communes de mauvaises herbes du Québec: de gauche à droite, chiendent, digitaire sanguine, galinsoga cilie et plantain majeur. Source : Écoquartier Peter McGill.

Regardons les choses sous un autre angle : les mauvaises herbes, au sens évolutif, sont des espèces végétales qui se sont très bien adaptées à leur environnement respectif, ce qui a permis leur prolifération alors qu’elles ne sont pas cultivées. Les étudiants de l’UdeM qui ont suivi le cours BIO2821 sur l’écologie des sols se souviendront peut-être que les mauvaises herbes sont un type de plantes qui ont une très grande précision pour la détection de nutriments dans les sols. En effet, la croissance rapide de leurs racines leur permet d’explorer le sol autour d’elles et de concentrer leur prolifération dans les parcelles de sol les plus nutritives lorsqu’elles sont détectées3.

Si elles sont si douées pour se développer dans leur environnement, d’où vient alors le qualificatif de « mauvaise » herbe? Il provient de notre regard anthropocentrique. En d’autres termes, une vision des choses où l’humain est au centre des réflexions1. Les mauvaises herbes ne sont « mauvaises » que selon ce que nous recherchons de la part des végétaux, soit majoritairement leur culture à des fins de consommation ou d’esthétique. La valeur des espèces en fonction de leurs services rendus à l’homme est dite « valeur instrumentale », et on la distingue de la « valeur intrinsèque », qui représente plutôt la valeur d’existence en soi. Cette dernière est très complexe à mesurer, considérant que, « par essence, la nature ne peut s’automesurer4 » et implique donc un juge humain. Bref, n’oublions pas que le concept même de « valeur de la biodiversité » passe essentiellement par l’estimation monétaire et est donc forcément teintée par la subjectivité humaine4.

Est-ce si important de changer la façon dont sont perçues les mauvaises herbes ? À première vue, non, pas forcément, puisque ce ne sont pas des espèces qu’on pourrait imaginer vulnérables à l’extinction. Et pourtant…ces plantes restent des espèces vivantes comme les autres, qui peuvent donc devenir en danger si les conditions environnementales auxquelles elles sont adaptées viennent à changer avec les pratiques d’agriculture ou les changements climatiques5.  Il est primordial de conserver une vision qui conserve les mauvaises herbes comme une partie des écosystèmes afin de mettre en place des moyens de contrôle moins dommageables en agriculture. L’usage unique de pesticides et d’herbicides n’est tout simplement pas durable pour la survie des écosystèmes, et puisque plusieurs espèces ont développé une résistance à ces produits6. Cette piste de réflexion veut surtout mettre en lumière le regard très anthropocentrique que nous portons souvent inconsciemment sur la nature qui nous entoure, comme l’explique si bien Hubert Reeves. Bien sûr, tout cela ne change rien au fait que les « mauvaises herbes » restent néfastes pour notre potager en faisant compétition aux plantes cultivées. Ce qui importe, c’est de ne pas percevoir une espèce seulement en fonction de ce qu’elle apporte à l’être humain. Hubert Reeves suggère de petits gestes, tel que de remplacer le terme « mauvaises herbes » par « herbes sauvages » ou « plantes non invitées1 ».

Épandage d’herbicides par des fermiers à Bangkok (Thaïlande). Source: Bangkok Post.

Qui aurait eu l’idée ingénieuse de créer un gin au pissenlit et au trèfle rouge tel que celui de la brasserie et distillerie québécoise Oshlag7 si on ne s’était pas arrêté un instant pour voir ces plantes comme plus que de simples mauvaises herbes? À ce sujet, il est pertinent de souligner l’usage judicieux du terme « Dentdelion » dans le nom de ce gin plutôt que « pissenlit », puisque c’est une variante de l’anglais « Dandelion » qui désigne cette plante et possède une connotation moins négative. Comme quoi les mots sont importants!

Terminons sur les mots d’Hubert Reeves (datant de 2005): « Cette importance donnée au vocabulaire n’est pas purement académique: c’est tout notre rapport à la nature qui est en jeu. Dans le contexte de la crise planétaire que nous traversons, une modification profonde de ce rapport devient une nécessité fondamentale1 ».

Sources :

  1. Reeves, H. (2005). Chroniques du ciel et de la vie. Éditions du Seuil – France Culture.
  2. Mauvaise herbe. (s. d.). Dans Dictionnaire Larousse en ligne. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/herbe/39632#172958
  3. Kembel, S. W. et Cahill Jr., J. F. (2005). Plant Phenotypic Plasticity Belowground: A Phylogenetic Perspective on Root Foraging Trade‐Offs. The American Naturalist, 166(2), 216‑230. https://doi.org/10.1086/431287
  4. Ribière, G. (2013). Valeurs de la biodiversité, prix de la nature. Vraiment durable, n° 4(2), 29‑45.
  5. Baessler, C. et Klotz, S. (2006). Effects of changes in agricultural land-use on landscape structure and arable weed vegetation over the last 50 years. Agriculture, Ecosystems & Environment, 115(1), 43‑50. https://doi.org/10.1016/j.agee.2005.12.007
  6. Harker, K. N. et O’Donovan, J. T. (2013). Recent Weed Control, Weed Management, and Integrated Weed Management. Weed Technology, 27(1), 1‑11. https://doi.org/10.1614/WT-D-12-00109.1
  7. Brasserie et distillerie Oshlag. (s.d.). Spiritueux. Oshlag. https://oshlag.com/fr/distillerie

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