Les manchots empereurs (Aptenodytes forsteri) sont des oiseaux endémiques du continent le plus froid de la planète : l’Antarctique. La morsure de l’hiver austral peut être très rude allant de -40 à -60 °C et même parfois au-delà. En effet, il a déjà été recensé des températures extrêmes plafonnant les -90°C 1 Mais comment arrivent-ils à survivre aux hivers extrêmes de l’Antarctique sans manteaux ni gants ?
Les manchots empereurs sont des oiseaux ayant la particularité d’être sociaux ; vivants en colonies dans les grandes étendues blanches de l’Antarctique. Outre des adaptations au niveau de leur plumage et de leur physiologie permettant une meilleure isolation et production de la chaleur2, les manchots ont développé une technique infaillible, usant de cette sociabilité pour se tenir chaud sans effort durant les hivers extrêmes : se faire un grand câlin. En effet, ils vont se coller les uns aux autres en un regroupement appelé « tortue »3 pour garder la chaleur emmagasinée de leur corps et formant ainsi un amas de plusieurs centaines – voire milliers – d’individus. Ces périodes peuvent varier d’une à plusieurs fois par jour, et ce, allant de plusieurs minutes à plusieurs heures pour combattre la thermolyse4. Une étude a chronométré une période maximale d’environ 12h et observé que ce comportement se retrouvait surtout durant la nuit, presque omniprésente à cette période où le froid est le plus intense5.
Les juvéniles et les manchots les plus vulnérables au froid sont gardés au centre du cercle où la chaleur est la mieux isolée et la plus intense. En périphérie, là où l’isolement du froid est moindre, les adultes les plus résistants font des rotations pour avoir un accès égalitaire à la chaleur. Ce comportement appelé la thermorégulation sociale est une adaptation au froid polaire permettant un gain d’énergie, mais aussi la possibilité d’une reproduction rapide et d’une meilleure incubation des œufs durant l’hiver5. Eh oui ! Les manchots sont les seuls oiseaux à avoir leur période de reproduction durant cette saison5 ce qui ne rend pas la tâche facile. Ce sont les mâles qui vont principalement s’occuper de l’incubation des œufs pendant une durée maximale de 134 jours en attendant que la femelle revienne avec de la nourriture6. Ainsi le succès reproducteur va fortement dépendre de la capacité des mâles à utiliser économiquement leur énergie5. De ce fait, pour une incubation optimale, celle-ci doit se faire à une température d’au moins 35 °C afin de mener à bien le développement embryonnaire5. Individuellement, maintenir une température corporelle constante d’au moins 35°C nécessite beaucoup d’énergie métabolique, et ce, au détriment d’une descendance viable. La thermorégulation sociale confère donc un avantage considérable à la reproduction des manchots empereurs. En effet, ils peuvent augmenter leur température corporelle en passant de 20°C à 37.5 °C en moins de 2h, soit d’une température qui va fortement se rapprocher du standard aviaire5 qui plafonne les 40 °C malgré le froid extrême. Ainsi, on a une meilleure allocation de l’énergie dans la qualité de production des descendants plutôt que dans la régulation thermique corporelle individuelle sans effort supplémentaire, simplement en travaillant en équipe !
De prime abord ce comportement semble simple et intuitif, mais selon les scientifiques celui-ci est bien plus complexe que ce qu’il en a l’air et manque cruellement d’études en profondeur sur comment « réussissent[-ils] à prodiguer un environnement tropical dans l’un des plus froids de la planète Terre » ?5
Donc si vous avez froid pendant l’hiver, vous connaissez le tip : faites-vous des huggs !
Bibliographie
[1] Gilbert, C., Maho, Y. L., Perret, M., & Ancel, A. (2007). Body temperature changes induced by huddling in breeding male emperor penguins. American Journal of Physiology-Regulatory, Integrative and Comparative Physiology, 292(1), R176‑R185. https://doi.org/10.1152/ajpregu.00912.2005
[2] NASA. (2013, dec). NASA-USGS Landsat 8 Satellite Pinpoints Coldest Spots on Earth. https://www.nasa.gov/content/goddard/nasa-usgs-landsat-8-satellite-pinpoints-coldest-spots-on-earth
[3] Gilbert, C. (2006). Le comportement de thermorégulation sociale : Son importance pour l’économie d’énergie (Doctoral dissertation, Strasbourg 1).
[4] Pouydebat, E. (2018) Atlas de zoologie poétique. Arthaud-Flammarion.
[5] Gilbert, C., Robertson, G., Lemaho, Y., Naito, Y., & Ancel, A. (2006). Huddling behavior in emperor penguins : Dynamics of huddling. Physiology & Behavior, 88(4‑5), 479‑488. https://doi.org/10.1016/j.physbeh.2006.04.024
[6] Richter, S., Gerum, R., Winterl, A., Houstin, A., Seifert, M., Peschel, J., Fabry, B., Le Bohec, C., & Zitterbart, D. P. (2018). Phase transitions in huddling emperor penguins. Journal of Physics D: Applied Physics, 51(21), 214002. https://doi.org/10.1088/1361-6463/aabb8