Malgré la légende urbaine, les journaux scientifiques ne s’écrivent pas seuls. Derrière la magie qu’il est possible de vivre à chacune des pages des magazines pour enfants, une équipe d’écrivains passionnés par la vulgarisation de la science pour les jeunes travaillent tous les jours pour trouver de nouveaux sujets à faire connaître et de nouvelles manières de les expliquer.

Vous avez probablement déjà entendu parler du magazine Les Débrouillards lorsque vous étiez enfants. Ce magazine a été lancé en 1982 et s’adresse aux enfants de 9 à 14 ans. Depuis, un vaste mouvement d’éducation scientifique des jeunes s’est manifesté au Canada comme à l’étranger. De nouveaux magazines se sont rajoutés pour toucher une plus grande gamme d’âges. En 2001, Les Explorateurs a été créé pour les enfants de 6 à 10 ans. En 2014, Curium pour ceux de 14 à 17 ans. L’éditeur de ces publications confirme le succès de cette initiative de vulgarisation en déclarant que « ces magazines rejoignent chaque mois un demi-million d’enfants, de parents et d’enseignants. »1

Tout cela nous indique que la science se développe certes par les découvertes des chercheurs qui crient “Eurêka!” dans les laboratoires et/ou sur le terrain, mais que ces découvertes sont surtout connues dans le monde entier par la culture générale que la population peut avoir sur la science. La vulgarisation scientifique est comme l’écho de la découverte initiale. C’est elle qui permet de porter au loin le message reformulé et simplifié pour que tous, adultes comme enfants, puissent l’entendre.

Alors que les chercheurs poussent les limites du savoir, les journalistes scientifiques, eux, rendent ce savoir accessible à tous en allant au-delà des limites du jargon scientifique. Pour attiser la curiosité, il faut être rusé.

Et si on en discutait avec un érudit sur le sujet? 

Marie-Hélène Croisetière est une journaliste scientifique. Elle a commencé son parcours en complétant un Baccalauréat et une Maîtrise en écologie, évolution, systématique et biologie des populations à l’UQÀM tout en complétant un Certificat de Journalisme à l’Université de Montréal.

Durant l’épopée de sa carrière professionnelle elle fut Chargée de projets en sciences biologiques (Biodôme de Montréal et UQÀM), Rédactrice en chef (Webzine en environnement Franc Vert), Agente de communication scientifique (Agriculture et Agroalimentaire Canada), Rédactrice en chef une deuxième fois (Québec Vert), Recherchiste scientifique (Émission Comment ça marche?), Journaliste (Les Débrouillards, le magazine drôlement scientifique), Journaliste recherchiste et rédactrice indépendante dans plusieurs médias et Rédactrice en chef une troisième fois (Magazine Quatre-Temps et Flore alors!). Elle est aujourd’hui journaliste scientifique au sein de l’équipe travaillant aux Éditions BDL. Elle travaille plus spécifiquement sur les magazines Les Explorateurs et Curium.

Marie-Hélène Croisetière a raconté à l’ARNm son parcours de carrière tout en démystifiant le travail de journaliste scientifique.


ARN messager : Bonjour Marie-Hélène! La première question qui s’impose est évidemment: C’est quoi, un journaliste scientifique?

Marie-Hélène Croisetière : Le travail du journaliste scientifique consiste à analyser et vulgariser la science pour le grand public. Il déniche ses renseignements autant en fouinant dans la littérature qu’en effectuant des entrevues en personne. Par radio, télévision, écrit, ou encore sur internet, il communique ses connaissances et combat la pseudoscience, armé de son sens critique… 

La pseudoscience correspond à un savoir cohérent et organisé comme une science, mais qui n’en a pas la rigueur. 2 

ARNm : Comment peut-on devenir journaliste scientifique?

M-H C : Il y a différents chemins. Tu peux prendre le chemin le plus traditionnel: un baccalauréat en communication. Moi, j’ai fait plutôt un Certificat en journalisme en étudiant ce qui m’attirait. Durant mes études en biologie, je n’ai pas pensé au journalisme d’emblée. J’étais vraiment curieuse et j’avais envie d’apprendre tout le temps. Continuer les études en doctorat, ça m’intéressait, mais ça ne me tentait pas de me spécialiser en sciences, donc j’avais envie de faire de la vulgarisation tout en continuant d’apprendre. 

ARNm : Quelle est la différence entre une spécialisation en recherche scientifique et une spécialisation en journalisme scientifique? Avez-vous hésité entre les deux?

M-H C : En fait, je ne voulais pas me spécialiser en recherche scientifique. Quand tu fais tout le temps de la recherche en science, il faut que ce soit très pointu. Ce que j’aimais, c’était de pouvoir toucher à toutes sortes de domaines, d’où le journalisme. C’est vrai qu’il y a différents types de journalisme. Moi, ma spécialité, c’est le journalisme en science. Mais même en science, c’est très large.

ARNm : C’est-à-dire?

M-H C : Je travaille à présent dans l’Équipe des Débrouillards pour 2 revues : Les Explorateurs qui est pour les 6-10 ans et Curium qui est pour les adolescents. Dans une semaine, par exemple, je peux passer de la théorie du Big-Bang au 5 ou 6 sens du chien. Ça va vraiment dans toutes sortes de sens. À chaque fois, c’est nouveau et on doit trouver des façons créatives de présenter tout ça.

ARNm : Donc, malgré vos études, ce que vous écrivez n’est pas axé seulement sur la biologie. Comment savez-vous quels sujets intéressent beaucoup les enfants? Est-ce vous recevez des rétroactions?

M-H C : Oui. On fait des sondages chaque mois. Cela nous donne déjà une petite idée, mais les enfants ont tendance à dire qu’ils aiment tout. C’est sur le site web que les enfants vont mettre des commentaires sur les articles. Ça me donne une petite idée. Il ne faut pas non plus s’arrêter à ce qu’ils aiment. Des fois, il faut aussi ouvrir les horizons. Il y a aussi le courriel des lecteurs: il y a des gens qui nous écrivent.

ARNm : Est-ce que c’est toujours un travail d’équipe?

M-H C : Pour mon travail chez les Explorateurs, oui : c’est en équipe. Un magazine, ça se fait en équipe. Mais il y a beaucoup de journalistes qui sont pigistes, qui travaillent en solo.

ARNm : Donc un pigiste travaille pour plusieurs magazines, autonome. Comment fait-il pour trouver du travail? Il reçoit des commandes d’articles à écrire ou il les propose?

M-H C : Ça va dans les deux sens. Au premier abord, c’est le journaliste qui va proposer : ça c’est un bon truc pour se faire connaître. Il est rare que les rédacteurs en chefs aillent choisir un journaliste comme ça, sans le connaître. Il faut que le journaliste l’accroche avec un bon sujet. Quand la relation est établie, ça va dans les deux sens. Après ça, quand le travail est bien fait, il peut recevoir des commandes.

ARNm : En 2015, c’est vous qui avez mis en place le magazine Flore alors! de A à Z pour convier les jeunes à la découverte du monde végétal. Comment cela s’est-il passé?

M-H C : J’étais engagée pour le magazine Quatre-Temps et j’ai proposé l’idée à la directrice. C’était long : ça a pris presqu’un an pour réfléchir au format qu’on voulait, les sujets, les collaborateurs, …

Quatre-Temps, c’est un peu particulier. C’est hybride entre une revue scientifique (avec des chercheurs qui vont relire tous les articles, les commenter) puis un magazine qui vise plus le grand public (où tout est écrit par les journalistes). On a fonctionné un peu sur le même principe avec Flore alors!: un sous-comité nous a aidé à le planifier comme toutes les chroniques précédentes. L’idée avec cette nouvelle revue, c’était d’amener les jeunes à s’intéresser à des plantes qu’ils pouvaient voir dans leur entourage, puis leur donner le goût de sortir pour essayer de les trouver.

ARNm : Quel est le message sous-jacent que vous vouliez faire passer aux jeunes ?

M-H C : Ça dépend de chaque sujet. Pour Flore alors!, le but était de créer de la surprise et de l’intérêt, une étincelle qui inspire les jeunes à sortir dehors. C’est une façon pour eux de réaliser qu’il y a autour d’eux plein d’objets qui viennent des plantes. Les jeunes vont plus accrocher sur l’étonnant et ce qui est proche d’eux. 

ARNm : Traitez-vous des sujets connus ou plutôt de nouvelles découvertes qui ont été faites en science dernièrement ?

M-H C : On essaye d’avoir beaucoup de sujets qui sont des nouveautés. On suit l’actualité. Ça dépend : parfois on parle d’un sujet qui existe déjà, qui intéresse les gens, mais on essaye de le rendre un peu d’actualité.

ARNm : J’imagine qu’il y a une façon différente de vulgariser pour les adultes par rapport aux enfants. Comment vulgarisez-vous la science pour les enfants?

M-H C : Je te dirais qu’on a plus de liberté avec les enfants : on va aller avec des styles plus « éclatés ». Dans Les Explorateurs, il faut penser que les lecteurs sont de jeunes lecteurs. Des fois, ils viennent juste d’apprendre les phrases très simples. Pour les adultes, ça va être très différent. Les Explorateurs, c’est beaucoup axé sur la nature, sur leur milieu de vie proche. Curium, on est plus dans les questions philosophiques, identitaires, sociales…

ARNm : Philosophiques?

M-H C : Oui! À l’adolescence, on s’ouvre vers le monde. Ça dépend de chaque public. On essaye d’avoir beaucoup de verbes actifs, d’aller rapidement à ce qui est intéressant. C’est le contraire de ce qu’on apprend à l’école. Dans un texte à l’école, on apprend à aller du général vers le particulier, tandis que dans le journalisme, on part du particulier pour aller au général.

ARNm : Pouvez-vous nous en dire plus?

M-H C : Par exemple, dans l’industrie de la mode, plutôt que de faire un portrait général de la mode, tu vas peut-être parler d’une nouvelle création qui est présentée à Montréal. Il s’agit de donner un exemple spécifique qui va accrocher, puis d’aller vers le portrait général. On fait ça pour les adultes aussi. Mais je pense que c’est vraiment axé sur l’intérêt du lecteur.

Dans un article de journal, on passe du spécifique au général (et non du général au spécifique comme on l’apprend à l’école).

À l’appui à ce qui est dit plus haut, dans son Guide pratique de vulgarisation scientifique, Sophie Malavoy déclare : « Ne jamais commencer par une généralité. Une généralité, en plus d’être ennuyeuse, ne distingue en rien votre article. Cette même généralité pourrait servir d’amorce pour une infinité de textes portant même sur des sujets totalement différents. Elle ne fournit aucune information pertinente. » 3

ARNm : Est-ce que l’humour a sa place dans vos articles?

M-H C : Ça dépend : dans Les Explorateurs, moins. Ce sont vraiment Les Débrouillards et Curium qui sont axés sur l’humour. Des fois, c’est ajouté, surtout pour Les Débrouillards, avec les illustrations. L’humour est un super moyen pour accrocher les jeunes.

ARNm : Que pouvez-vous dire pour aiguiller les étudiants en science qui ne savent pas par où continuer? Quelles sont les différences entre une carrière scientifique « typique » et une carrière journalistique?

M-H C : Les deux demandent beaucoup de curiosité. Faire de la recherche scientifique ou creuser des sujets en tant que journaliste scientifique, ça demande des qualités qui se ressemblent. Pour savoir ce que tu préfères, il est question d’essayer. Écrire dans un journal étudiant, par exemple, est excellent. Ce qui est génial, c’est que le journalisme est une profession ouverte. Les journalistes y tiennent. Donc, tu as des gens qui sont spécialisés en droit, d’autres en science, … Il y a la possibilité d’écrire des « lettres ouvertes » dans les quotidiens comme Le Devoir, de faire de la pige, comme je disais, dans différents magazines … En l’essayant, ça permet de voir si ça nous plait, si ça nous convient.

Une lettre ouverte est une lettre écrite par un journaliste où un débat est lancé au grand public. Le sujet qui y est traité tourne autour d’une question qui tient à cœur l’auteur et qui lui permet d’y laisser entrevoir son opinion personnelle. 4

ARNm : Est-ce qu’il y a une certaine éthique du journalisme à respecter?

M-H C : Il y a un code de déontologie disponible sur le site de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Sinon il y a un code de déontologie de Radio Canada qui est utilisé par plein d’autres journalistes … ce sont des bases assez strictes.

Un peu comme les médecins qui doivent respecter un certain code de règlements, les journalistes aussi doivent respecter un des règles éthique (regroupées dans un guide déontologique) dans le cadre de leur travail. Le guide en question peut être déniché sur le site de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). « Ce Guide formule les règles déontologiques qui doivent orienter le travail des journalistes. Elles fondent leur crédibilité, qui est leur atout le plus précieux. »5

ARNm : En pensant à votre parcours de carrière, je me demande : avez-vous une ligne directrice que vous vouliez suivre ou vous allez plutôt d’opportunité en opportunité professionnelles selon vos préférences ?

M-H C : Pour moi, ce n’était pas d’emblée. C’était vraiment un coup de foudre, travailler pour les enfants. Mon parcours, c’était plutôt comme tu disais, d’aller d’opportunité en opportunité. C’était vraiment la curiosité qui m’a guidé.

ARNm : Merci de tout cœur pour vos témoignages!


Sources:

  1. https://www.communication-jeunesse.qc.ca/editeurs/publications-bld-2/
  2. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/pseudoscience/64764
  3. Malavoy, S. et Acfas (Association). (2019). Guide pratique de vulgarisation scientifique.
  4. https://www.alloprof.qc.ca/fr/eleves/bv/francais/la-lettre-ouverte-f1117
  5. Guide de déontologie des journalistes du Québec (https://www.fpjq.org/fr/guide-de-deontologie)

2 COMMENTS

  1. Bel entretien qui nous donne une idée claire de ce qu’est et ce que n’est pas un journaliste scientifique!
    Bravo!

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