Les cellules laticifères sont des cellules hautement spécialisées, caractérisées par leur anatomie et leur cytoplasme distinctifs ainsi que leur production de latex, que l’on retrouve chez les plantes vasculaires Elles produisent des composés qui ont une importance clé en tant que bioproduits non-seulement dans l’utilisation moderne, mais également à travers les siècles dans diverses cultures: les cultures aborigènes du sud-est de l’Asie, notamment, utilisaient la substance sécrétée par les cellules laticifères de Antiaris spp. comme poison pour la pointe de leurs flèches.

Pourquoi le nom “laticifère” ? N. Grew, un botaniste et médecin britannique a lui-même nommé en 1682 ces cellules en comparant le latex qu’elles contiennent au lait des animaux, observant des similarités à la fois dans leur couleur et leur capacité de coagulation. C’est cependant au physicien allemand Schultz qu’est due la compréhension du système laticifère. Ses études ont permis la comparaison des capacités de coagulation du latex avec celles du sang. 

Chez quelles plantes retrouve-t-on ce type de cellules ?

On retrouve des cellules laticifères dans 12 500 espèces de plantes, réparties dans 22 familles : leur distribution est variable, et les ordres végétaux où elles sont retrouvées n’ont pas de relations particulières entre eux, suggérant une évolution convergente. Si l’on retrouve principalement les laticifères chez les dicotylédones, il n’est pas rare d’en retrouver chez certaines plantes monocotylédones.

La grande majorité des plantes productrices de latex sont retrouvées dans les zones tropicales ou subtropicales, principalement dans les habitats de type terrestre. Environ 12% des plantes tropicales posséderaient des cellules laticifères, contre seulement 5% des familles de plantes des régions tempérées. Les laticifères sont également retrouvés sporadiquement chez les conifères, et même chez certaines fougères. Chez les Angiospermes, les laticifères sont principalement retrouvés dans la sous-classe dicotylédone des Asteridae ainsi que dans les familles des Leguminosae (regroupant soja, haricots…), des Liliacea (où on retrouve les Lys) et Euphorbiacea.

Plante Codiaeum variegatum, de la famille Euphorbiacea, productrice de latex. ©Anna-Luna Rossi.

Le rôle des laticifères chez la plante

Les cellules laticifères n’ont pas de fonction métabolique primaire reconnue pour la plante : leur fonction principale est de produire du latex, qui lui est fortement impliqué dans la défense de l’organisme envers les ennemis naturels tels que les herbivores et certains pathogènes. Le latex contribue à la résistance aux herbivores pour lesquels celui-ci présente une forte toxicité, ainsi qu’aux insectes où une viscosité suffisante permet de les piéger.

Avec ses fortes propriétés irritantes, le latex sécrété par les cellules peut aussi être toxique pour l’humain : celui issu de Euphorbia grantii peut causer une rupture de la cornée s’il entre en contact avec les yeux, et agir comme un important poison s’il est ingéré.

Lors de traumatismes tels que des blessures mécaniques, des infections fongiques, des sécheresses ou encore des attaques d’insectes, la plante suinte et le latex est expulsé. Celui-ci recouvre ainsi la blessure, et forme une barrière protectrice en séchant. La quantité de latex produite par la plante lorsque celle-ci subit un dommage varie d’une espèce à une autre, et peut également varier selon l’intensité de l’attaque des herbivores.

Origine, croissance et différenciation

Tous les canaux à latex peuvent être distingués en deux catégories : les laticifères non-articulés, et articulés.

Schéma comparant un laticifère non-articulé ramifié dans le cortex d’Euphorbia (gauche) et un laticifère articulé dans le cortex d’Eurybia divaricata (droite).. Le laticifère non-articulé est formé d’une seule cellule pouvant comporter des ramifications ou non. Celui de droite résulte de la fusion de deux cellules, d’où vient le terme “articulé”. La différence entre les deux types de canaux laticifères est parfois très subtile. Illustration : Emma Husser.

Les laticifères non-articulés, dits “vrais”, sont multinucléés. Le laticifère se développe donc à partir d’une seule cellule qui est sujette à une élongation considérable lors de la croissance de la plante et forme soit un vaisseau non-ramifié, soit un réseau complexe de ramifications. Il multiplie continuellement son noyau, sans jamais se cloisonner. Les laticifères non-articulés se retrouvent la plupart du temps chez les Euphorbiacea.

Cellule laticifère située dans le phloème et le cortex d’une tige d’Euphorbia pulcherrima (coupe longitudinale) présentant des laticifères non-articulés ramifiés, différencié à partir du cambium du côté du phloème. la: laticifère; ca: cambium; xy: xylème; ph: phloème; mo: moelle; co: cortex; ep: épiderme multi sérié. Photographie: Anna-Luna Rossi.

Les laticifères articulés consistent en un réseau de cellules allongées, qui peuvent s’étendre à une distance plutôt considérable. Selon les espèces, ces cellules se trouveront en plus forte concentration d’un côté ou de l’autre du cambium.Les laticifères articulés se retrouvent à la fois chez les monocotylédones et chez les dicotylédones (Hagel et al., 2008).

Vue d’ensemble d’une tige d’Helianthus (coupe transversale) présentant des laticifères articulés. Plante de la famille Asteraceae contenant des cellules laticifères articulées au niveau du phloème, différenciées à partir du cambium vasculaire. xy: xylème; ca: cambium; la: cellule laticifère; ph: phloème; cr: canal résinifère. Photographie: Anna-Luna Rossi.

Structure et caractéristiques morphologiques

Les cellules matures sont très allongées et majoritairement parallèles à la direction des tiges, racines, tissu vasculaire et nervures foliaires. Certaines peuvent même s’allonger sur l’entièreté de la plante ! Elles ne contiennent pas de chloroplastes et sont donc hétérotrophes.

La membrane plasmique des cellules laticifères est dépourvue de plasmodesmes, rendant impossible pour celle-ci l’échange de substances par voie symplastique. La voie apoplastique est alors la seule voie d’échange avec son environnement. La membrane cellulaire dispose ainsi d’un équipement membranaire de transporteurs actifs afin de stocker des assimilats photosynthétiques, qui répondent au besoin des cellules en énergie.

Au sens physiologique, le latex contenu dans les cellules productrices représente le cytoplasme entier de la cellule. Lors d’un bris cellulaire, presque tout le contenu se vide. Les noyaux et mitochondries sont maintenus dans la cellule grâce à leur ancrage spécifique à la paroi via le cytosquelette, et certaines protéines essentielles à la régénération cellulaire adhèrent à la membrane cellulaire. Le processus de régénération des laticifères s’avère donc possible grâce à la présence constante des éléments essentiels à sa reconstruction.

La composition du latex

Typiquement blanche, non-transparente, la couleur du latex peut cependant varier de transparente à rouge. Par exemple, chez le Ficus benguetensis, le latex est jaune. Lorsque le latex qui s’écoule de la plante, il contient certains organites de la cellule, comme des ribosomes libres, le réticulum endoplasmique et des plastes remplis de caroténoïdes.

Il contient également une grande variété de composés tels que des terpénoïdes, des alcaloïdes, des cardénolides, des grains d’amidon, mais également une grande variété d’enzymes et de protéines tels que les protéases, chitinases et glucosidases. La morphine, par exemple, est un type d’alcaloïde retrouvé dans le latex, qui présente une forte toxicité pour les insectes. Les alcaloïdes et terpénoïdes sont des composés de défense à l’herbivorie pour les plantes.

La composition du latex n’est pas stable, et celle-ci peut varier en termes de nature ou de proportions selon les espèces productrices, et selon certains facteurs tels que la partie de la plante dans laquelle se trouve le latex, la période de l’année et le type de sol dans lequel la plante croît.

Latex d’une tige de Synadenium. Présence de grains d’amidon de réserve de forme allongée et renflés aux extrémités (Effa, 2015). am: grain d’amidon. Préparation de lame: Emma Husser/Photographie: Anna-Luna Rossi.

Utilisation passée et moderne du latex

Le latex est depuis longtemps utilisé dans les différentes cultures du monde. À l’ouest de l’Afrique, le latex est utilisé pour ses vertus médicinales : les feuilles des plantes à laticifères sont utilisées traditionnellement en décoctions pour soigner infections, problèmes gynécologiques ou gastro-intestinaux, et nombreuses autres pathologies.

Le latex des plantes du genre Euphorbia est largement utilisé médicinalement dans diverses cultures et traditions, et ce depuis des siècles : en Afrique comme traitement contre la gale chez les animaux, par les peuples Touareg nomades contre les vers intestinaux, mais également contre les morsures de serpents et de scorpions. Ou encore en Arabie Saoudite, où le latex est utilisé à la fois en tant que remède dépuratif et diurétique, et pour ses propriétés de “purification du sang”. 

De plus, le latex de Lactuca serriola, plante de la famille des tournesols, contient des opiacées aux propriétés narcotiques et est de ce fait utilisé dans la préparation d’antidouleurs et de somnifères.

Cette substance est largement utilisé dans de nombreux domaines aujourd’hui. Pour ne citer que quelques exemples, on l’utilise pour préparer certaines peintures, pour fabriquer des préservatifs, des gants médicaux, des ballons…. Le latex contient également de nombreux composés bioactifs qui ont été précédemment mentionnés et dont les propriétés et les activités biologiques sont diverses : insecticides, antioxydantes, anti-inflammatoires, anticancérigènes, anti-inflammatoires… Ces propriétés font du latex un composé utilisé à la fois dans l’industrie et la médecine vétérinaire et humaine. Il s’agit d’un composé prometteur dans le cadre de futures utilisations et développements pharmacologiques et industriels.

Sources:

  1. Agrawal, A. A. & Konno, K. (2009). Latex : A Model for Understanding Mechanisms, Ecology, and Evolution of Plant Defense Against Herbivory. Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics, 40(1), 311‑331. doi: 10.1146/annurev.ecolsys.110308.120307.
  2. Castelblanque, L., Balaguer, B., Marti, C., Rodriguez, J. J., Orozco, M. & Vera, P. (2016). Novel Insights into the Organization of Laticifer Cells: A Cell Comprising a Unified Whole System. Plant Physiology, 172, 1032-1044. doi:10.1104/pp.16.00954.
  3. Hagel, J. M., Yeung, E. C. & Facchini, P. J. (2008). Got milk? The secret life of laticifers. Trends in Plant Science, 13(12), 631‑639. doi: 10.1016/j.tplants.2008.09.005.
  4. Hoekou, Y. P., Tchacondo, T., Karou, S. D., Koudouvo, K., Atakpama, W., Pissang, P., … Gbeassor, M. (2016). Ethnobotanical Study of Latex Plants in the Maritime Region of Togo. Pharmacognosy research, 8(2), 128–134. doi:10.4103/0974-8490.175613.
  5. Konno, K. (2011). Plant latex and other exudates as plant defense systems : Roles of various defense chemicals and proteins contained therein. Plant-Insect Interactions, 72(13), 1510‑1530. doi: 10.1016/j.phytochem.2011.02.016.
  6. Mahlberg, P. G. (1993). Laticifers : A historical perspective. The Botanical Review, 59(1), 1‑23. doi: 10.1007/BF02856611.
  7. Metcalfe, C. R. (1967). Distribution of latex in the plant kingdom. Economic Botany, 21(2), 115‑127. doi: 10.1007/BF02897859.
  8. Pickard, W. F. (2008). Laticifers and secretory ducts : Two other tube systems in plants. New Phytologist, 177(4), 877‑888. doi: 10.1111/j.1469-8137.2007.02323.x.
  9. Ujwala, K. & Karpagam, N. (2013). Potential therapeutical values of plant latices. International Journal of Medicinal and Aromatic Plants, 3(2), 317-325. Repéré à https://www.cabdirect.org/cabdirect/FullTextPDF/2013/20133248225.pdf.

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