En 1951, lors de son premier traitement pour le cancer du col de l’utérus, un échantillon du cancer d’Henrietta Lacks a été envoyé à George Gey. Chercheur à l’hôpital John Hopkins à Baltimore, Gey et son équipe prenaient régulièrement en charge des échantillons de tissus cancéreux pour les mettre en culture et ainsi tenter de démarrer la première culture cellulaire immortelle. Tous ses essais avaient échoué jusque-là : les cellules pouvaient être gardées en vie quelque temps, mais finissaient toujours par mourir. Toutefois, les cellules d’Henrietta étaient différentes : dès le lendemain de leur mise en culture, elles semblaient avoir doublé en quantité. Non seulement cela, mais elles ne semblaient tout simplement pas mourir. Cette lignée cellulaire demeure vastement utilisée aujourd’hui et a permis d’innombrables découvertes scientifiques; C’est la lignée HeLa. Mais qui était Henrietta Lacks et comment cette histoire se dénoue-t-elle ? (Skloot, 2011; Zimmer, 2013)

Toute une vie

Henrietta Lacks est née en août 1920 dans l’état de la Virginie aux États-Unis, soit un moment et un endroit terriblement précaire pour une femme afro-américaine. Sa vie est demeurée teintée des injustices sociales qui découlent de l’esclavagisme et du racisme, ce jusqu’à sa mort. Sa mère est décédée deux ans après sa naissance, elle a donc été élevée par son grand-père dans une plantation de tabac, où elle a travaillé une grande partie de sa courte vie. Son arrière-grand-père était d’ailleurs propriétaire de cette plantation et des esclaves qui y travaillaient. Elle a ainsi grandi dans les cabines mêmes qui servaient de logis pour ces esclaves des années plus tôt (Skloot, 2011).

Henrietta Lacks dans les années 1940. De la famille Lacks, via The New York Times

À l’âge de seulement 14 ans, en 1935, elle a accouché de son premier enfant et est devenue mère d’un total de cinq enfants à travers les années. Elle a marié David Lacks, son cousin et père de ses enfants, en 1941, avant de déménager dans le comté de Baltimore, qui offrait un emploi plus payant pour David. Henrietta était décrite par plusieurs comme très jolie et coquette, ses ongles souvent vernis de rouge et ses habits toujours soignés. C’est seulement quelques mois après la naissance de son cinquième enfant qu’elle a reçu son diagnostic de cancer, qui était malheureusement très agressif. En effet, ces cellules qui pouvaient pousser dans un environnement moins qu’idéal, dans des tubes de vitres dans un milieu de culture dont la recette était incertaine ont rapidement migré à travers le corps d’Henrietta et elle s’est éteinte à l’âge de 31 ans, en 1951, dans l’établissement même de John Hopkins (Skloot, 2011).

L’éthique de l’époque : inexistante

Revenons à notre cher Gey, qui a rapidement partagé son exploit à la communauté scientifique. Ils avaient, lui et son équipe, établi la première lignée cellulaire immortelle. Là est le problème : quelles sont les procédures à suivre afin de respecter la personne dont viennent les cellules ? Aujourd’hui, il en est de soi qu’on ne peut pas tout simplement utiliser les cellules d’une personne sans son consentement et encore moins profiter financièrement de ces cellules. À cette époque, la bioéthique n’existait pas encore vraiment, d’autant plus que la plupart ne croyait pas que l’établissement d’une lignée immortelle était possible, donc aucun encadrement ne régissait ce type de don. En effet, dès que Gey eut compris que les cellules se multipliaient sans limite, il envoya des échantillons à qui le voulait et on a rapidement compris à quel point cette avancée allait être cruciale pour le futur de la recherche en médecine. En peu de temps, les cellules HeLa ont été produites industriellement, rapportant des profits notables à leurs producteurs. Pour la première fois, on pouvait expérimenter sur des cellules humaines sans répercussion sur l’humain même et cela a tout changé (Skloot, 2011; Truog et al., 2012).

Image de fluorescence multiphotonique de cellules HeLa cultivées avec une protéine fluorescente ciblant l’appareil de Golgi (orange), les microtubules (vert) et contre-colorée pour l’ADN (cyan) par le National Institutes of Health (NIH) (Tom Deerinck)

Une famille oubliée

Ce qui reste le plus frappant est que la famille d’Henrietta n’a pas été mise au courant de cette révolution tout de suite. Ce n’est qu’en 1973, lorsqu’un scientifique a contacté un de ses enfants pour un échantillon de sang qu’ils ont été informés de l’importance de leur maman. Non seulement cela, mais sa famille a continué à vivre dans une situation financière précaire tandis que des gens profitants des cellules de leur mère ou femme ont amassée une somme que cette famille n’aurait probablement même pas pu s’imaginer (Skloot, 2011).

Aujourd’hui

Depuis des années, les différentes lignées cellulaires sont nombreuses et toujours aussi impératives dans les initiatives de recherche en médecine. Cependant, les patients dont ils viennent peuvent garder l’anonymat et ces dons sont beaucoup mieux encadrés. Malgré cela, les donneurs ou leur famille reçoivent toujours rarement une compensation financière pour leur contribution. Il reste donc toujours du travail à faire en ce sens (Truog et al., 2012).

J’ai initialement été interpellée par l’histoire d’Henrietta lorsque j’ai moi-même dû travailler avec la lignée cellulaire HeLa. Il m’a été évident que connaître d’où viennent les lignées cellulaires serait alors un fait important à partager, surtout avec les gens qui auront à en utiliser dans leur recherche. Si vous voulez en apprendre plus sur la vie de cette femme tout en découvrant un récit touchant, n’hésitez pas à lire La vie immortelle d’Henrietta Lacks (« The Immortal Life of Henrietta Lacks ») de Rebecca Skloot.

Bibliographie

Skloot, R. (2011). The Immortal Life of Henrietta Lacks. Crown.

Truog, R. D., Kesselheim, A. S., & Joffe, S. (2012). Paying tissue donors : The legacy of Henrietta Lacks. Science (New York, N.Y.), 337(6090), 37. https://doi.org/10.1126/science.1216888

Zimmer, C. (2013, août 7). A Family Consents to a Medical Gift, 62 Years Later. The New York Times. https://www.nytimes.com/2013/08/08/science/after-decades-of-research-henrietta-lacks-family-is-asked-for-consent.html

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