Au cœur du Pacifique, les îles Marshall forment un archipel idyllique, où les plages isolées invitent à la détente. Pourtant, dans l’atoll d’Enewetak, sur l’île de Runit, se dresse un monument bien loin de l’image paradisiaque : un imposant dôme en béton, connu sous le nom de Cactus Dome ou Runit Dome, qui recouvre un passé lourd en secrets nucléaires.

Vue du dôme Runit. Tiré de EcoHubMap, 2024.

Contexte historique

Entre 1946 et 1958, les forces armées américaines ont mené pas moins de 67 essais nucléaires sur les atolls de Bikini et d’Enewetak, contraignant des centaines d’habitants à évacuer leurs îles (Palafox, 2010).

Îles Marshall, regroupant de nombreux atolls dont Enewetak et Bikini. Tiré de Rust (2019), Los Angeles Times – Design : Lorena Iñiguez Elebee et Sean Greene.

Pendant près de 12 ans, ces explosions, dont la puissance était parfois comparable à celle de la bombe d’Hiroshima, ont transformé ces atolls en un champ de ruines nucléaires, répandant des retombées radioactives sur des centaines de kilomètres (Gerrard, 2015).

Nuage en forme de champignon de la bombe nucléaire Ivy King, au nord de l’île de Runit. Tiré de Foer, 2013.

Voici une vidéo de l’armée américaine en direct de l’essai «Ivy Mike» sur l’atoll d’Enewetak, le premier test réussi d’une arme thermonucléaire (bombe à hydrogène). Vous pouvez observer l’explosion à 17:05 :

PeriscopeFilm (2017)

La construction d’une « tombe nucléaire »

Vingt ans après ces explosions dévastatrices, alors que l’environnement (sol, eau et air) était gravement contaminé, le gouvernement américain a lancé une opération de nettoyage d’envergure. Entre 1977 et 1980, environ 140 000 tonnes de sol radioactif et de débris issus des atolls, furent extraits et transportés en urgence vers l’île de Runit, dans le but de concentrer les déchets en un seul lieu (Foer, 2013).

Sur Runit, l’essai nucléaire américain « Cactus », mené en 1958, a créé un immense cratère d’environ 350 pieds de large et celui-ci a servi de réceptacle aux déchets radioactifs, qui y demeurent encore aujourd’hui (Gerrard, 2015). Afin de contenir ces déchets et de limiter leur dispersion due à l’érosion, un dôme colossal en béton a été construit pour les enfermer. Composé d’une épaisse couche de béton d’environ 18 pouces et couvrant plus de 100 000 pieds carrés, ce projet titanesque, achevé en 1980, a mobilisé d’importantes ressources humaines et coûté près d’un quart de milliard de dollars (Foer, 2013).

Visualisation de la « tombe » sur l’île de Runit, dans l’atoll d’Enewetak. Tiré de Rust (2019), Los Angeles Times – Design : Lorena Iñiguez Elebee et Sean Greene.

Risques environnementaux et vulnérabilités climatiques

Bien que le dôme soit actuellement considéré comme suffisamment solide pour limiter l’érosion et l’exposition immédiate de l’environnement à la radioactivité, la montée des eaux induite par le réchauffement climatique rend sa situation particulièrement vulnérable. En effet, avec le vieillissement de la structure et l’élévation progressive du niveau de la mer, le risque de fissures voire d’effondrement s’accroît, ce qui pourrait entraîner la libération de contaminants dans l’environnement marin (Bahng, 2020).

Des analyses radiochimiques révèlent qu’une faible quantité de radionucléides s’échappe du dôme vers l’eau marine. Toutefois, ces niveaux demeurent inférieurs à ceux des sédiments contaminés par les retombées des essais nucléaires passés (Lubofsky, 2020). En effet, des études du Département de l’Énergie (DOE) confirment qu’à ce jour, les taux de radiation dans l’eau restent faibles et conformes aux normes internationales. Cependant, le risque d’une fuite de contaminants persiste, rendant une surveillance continue indispensable (U.S. Department of Energy, 2020).

Avec la montée du niveau de la mer, le dôme risque de s’ouvrir, laissant s’échapper les contaminants dans l’environnement. Tiré de Rust (2019), Los Angeles Times – Design : Lorena Iñiguez Elebee et Sean Greene.

Héritage humain et séquelles durables

Le Runit Dome n’est pas uniquement un défi technique, c’est également le symbole d’un lourd héritage nucléaire dont les répercussions continuent de peser sur les populations des Îles Marshall. Bien que les habitants aient été évacués lors des essais nucléaires, ils ont été contraints de retourner sur leurs terres contaminées (Palafox, 2010). En y revenant, ils doivent vivre avec les séquelles de cette exposition, notamment une hausse des maladies liées à la radiation, telles que des troubles thyroïdiens et divers cancers, ainsi que la perte de leurs terres et la dégradation de leur environnement (Rust, 2019).

Josephine Noka marche avec son fils Jules, âgé de 6 ans, d’Ejit Island jusqu’à Majuro lors de la marée basse. Tiré de Rust (2019), Los Angeles Times – Photographie : Carolyn Cole.

Un avenir incertain : entre défis et responsabilités

Ce monument, véritable « tombe nucléaire », continue d’attirer autant l’attention que l’inquiétude. Face aux défis croissants du changement climatique et à la montée des eaux, l’avenir de ce confinement demeure incertain, soulignant l’urgence de repenser la gestion des déchets nucléaires et de reconnaître pleinement la responsabilité historique des puissances nucléaires.

La « Tombe » se balance désormais au gré des marées. Tiré de Rust (2019), Los Angeles Times – Photographie : Carolyn Cole.

Bibliographie

Bahng, A. (2020). The Pacific Proving Grounds and the Proliferation of Settler Environmentalism. Journal of Transnational American Studies, 11. https://doi.org/10.5070/T8112049580

EcoHubMap. (2024). The Nuclear Tomb, the Marshall Islands. EcoHubMap. [consulté le 2 février 2025]. Tiré de https://www.ecohubmap.com/hot-spot/the-nuclear-tomb-the-marshall-islands/4jomy0wklisyncki

Foer, J. (2013). Cactus Dome. Atlas Obscura. [consulté le 2 février 2025], Tiré de https://www.atlasobscura.com/places/cactus-dome

Gerrard, M. B. (2015). America’s forgotten nuclear waste dump in the Pacific. SAIS Review of International Affairs35(1), 87-97. https://doi.org/10.1353/sais.2015.0013  

Lubofsky, E. (2020). Putting the ‘nuclear coffin’ in perspective. Oceanus Magazine, The Journal of Our Ocean Planet. [consulté le 2 février 2025], Tiré de https://www.whoi.edu/oceanus/feature/putting-the-nuclear-coffin-in-perspective/

Palafox, N. A. (2010). Health consequences of the Pacific US nuclear weapons testing program in the Marshall Islands: inequity in protection, health care access, policy, regulation. Reviews on environmental health25(1), 81-85. https://doi.org/10.1515/REVEH.2010.25.1.81

PeriscopeFilm. (2017). OPERATION IVY 1952 HYDROGEN BOMB TESTS at ENEWETAK ATOLL 80294 [Video]. YouTube. [consulté le 2 février 2025], Tiré de https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=Qb9YBWn2V3I&t=630s

Rust, S. (2019). How the U.S. betrayed the Marshall Islands, kindling the next nuclear disaster. Los Angeles Times. Tiré de https://www.latimes.com/projects/marshall-islands-nuclear-testing-sea-level-rise/

Sea Gypsies. (2022). Sea Gypsies: The Plutonium Dome (Runit Dome Marshall Islands) [Video]. YouTube. [consulté le 2 février 2025], Tiré de https://youtu.be/0kbw7fpG9dA?si=dkvDZYe5BoxlhaRd

U.S. Department of Energy. (2020). Report on the status of the Runit Dome in the Marshall Islands. Tiré de https://www.energy.gov/sites/prod/files/2020/06/f76/DOE-Runit-Dome-Report-to-Congress.pdf

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