Introduction

Ces dernières années, les biologistes marins ont évalué les influences directes et indirectes des activités humaines sur les habitats marins méditerranéens, mettant en évidence d’importants changements structurels dans plusieurs écosystèmes. Riccardo Cattaneo‑Vietti est professeur et chercheur en écologie marine à la faculté des sciences de l’université polytechnique des Marches à Ancône, Italie. Dans un article scientifique publié à la suite de la conférence intitulée « Changements et crises en Méditerranée » (Cattaneo Vietti, 2018), il décrit les transformations de la biodiversité méditerranéenne en s’appuyant sur des études réalisées en mer de Ligure. Cette zone, qui s’étend de la côte génoise jusqu’au Cap Corse, constitue la partie la plus au nord de la Méditerranée occidentale. Elle est également l’une des régions les plus perturbées du littoral italien, en raison d’une pêche intensive, ainsi que d’un développement urbain, touristique et industriel significatif.

Un banc de barracuda au large de la Corse, une espèce qui colonise depuis peu le bassin méditerranéen. Photo de Léon Le Guillou

« Canicule marine? »

Une canicule marine est une période de températures océaniques extrêmes (Dillon, 2023). Ces anomalies peuvent apparaître et disparaître rapidement en quelques jours voire semaines, ou évoluer plus lentement. Les températures sont considérées comme extrêmes si elles dépassent un certain seuil par rapport aux températures « normales » pour cette région et cette saison. Malheureusement, ces anomalies thermiques sont de plus en plus intenses et fréquents avec le réchauffement climatique. Elles entrainent des proliférations de microalgues, pouvant être nuisibles, comme les efflorescences d’Ostreopsis ovata (Cattaneo Vietti, 2018), qui apparaissent régulièrement chaque été depuis 2005. Ces phénomènes émergents ont suscité des inquiétudes sanitaires et économiques. En effet, Ostreopsis produit une toxine, la palytoxine, considérée comme l’une des molécules les plus toxiques présentes dans la nature. Elle peut provoquer de graves intoxications par inhalation et par contact.

Ces conditions favorisées par ces canicules marines stimulent également le développement de bactéries telles que les Vibrio. Certaines d’entre elles peuvent être dangereuses avec notamment l’espèce Vibrio parahaemolyticus, qui rend malade 45 000 personnes chaque année aux États-Unis (Vibrion, 2021).

Aussi, chez plusieurs espèces animales, la saisonnalité de leur reproduction s’est vue modifiée via l’augmentation de la température de l’eau, avec une prolongation ou une réduction de leur cycle de vie (naissance, reproduction, mort). Bien que cela représente un désavantage pour de nombreuses espèces, certaines espèces dites « exotiques » (celles introduites volontairement ou accidentellement en dehors de leur habitat d’origine) sont favorisées et se développent très vite avec ces circonstances.

Récifs en danger

À la fin de l’été 1999, la Méditerranée a connu son épisode le plus grave de mortalité massive lié aux canicules marines, touchant gravement les gorgones, le corail rouge et les éponges. C’est le cas notamment de la gorgone pourpre qui constitue de véritables « forêts animales » en abritant 15 à 20 % des espèces connues en Méditerranée, selon le Parc national des Calanques. C’est l’absence de vent et l’augmentation des températures qui sont désignées comme responsable de cette impressionnante mortalité (Pacorel & Flamand, 2022).

« Forêt » de gorgone pourpre. Photo de Léon Le Guillou

Et les poissons?

Pour étudier les changements dans les communautés de poissons, les chercheurs de l’étude de Cattaneo-Vietti ont notamment utilisé des données issues des captures de la Tonnarella de Camogli. Il s’agit d’une petite madrague à thon, utilisée depuis le XVIIe siècle, qui sert à capturer des poissons pélagiques (vivant près de la surface ou entre la surface et le fond) le long de la côte occidentale du promontoire de Portofino, en mer Ligure. La disponibilité de données à long terme sur les rendements en poisson (1950-1974 et 1996-2011), avec des informations relatives aux températures de l’eau de mer, ont permis aux scientifiques d’étudier les changements qualitatifs et quantitatifs des rendements en poisson au cours de la dernière décennie et les relations possibles avec les anomalies saisonnières de température qui se sont produites dans la mer Ligure (Cattaneo-Vietti, 2014).

Les analyses de ces données ont alors montré que les stocks de poissons pélagiques avaient subi d’importants changements, surtout au cours des 20 dernières années. Les chercheurs ont constaté une augmentation des espèces thermophiles, telles que le coryphène, le barracuda à bouche jaune ou certains carangidés comme la sériole. Parallèlement, les espèces boréales et certains thons ont vu leurs populations décliner. La figure 1 illustre une partie de ces résultats. On peut y voir que la saupe, une espèce qui était très présente dans cette région entre les années 1950 et 1970 se rarifie de nos jours, tandis que la sériole, qui était totalement absente dans les filets dans le passé, est maintenant une espèce commune en mer de Ligure (Cattaneo-Vietti, 2014).

Figure 1. Représentation des résultats sur les rendements en poisson (1950-1974 et 1996-2011) obtenus grâce à la Tonnarella de Camogli. Cette figure illustre la diminution de l’espèce Sarpa salpa et l’augmentation de l’espèce Seriola dumeril en mer Ligure, au fil des années. Adapté de Cattaneo-Vietti, 2014.

De plus, certains grands prédateurs pélagiques tels que les requins, en particulier le requin bleu, qui autrefois était fréquent, disparaissent peu à peu. Les requins sont devenus de plus en plus rares en raison de la surpêche ou de l’appauvrissement de leurs proies. Leur disparition de la zone côtière ligure est probablement aussi due aux nuisances sonores causées par le trafic nautique pendant l’été. Suite à ces considérations, les données de la Tonnarella de Camogli peuvent être considérées comme un outil puissant pour évaluer ces changements structurels des poissons pélagiques dans la mer Ligure et, éventuellement, de toute la Méditerranée nord-occidentale et reste un témoin important des effets du changement du changement climatique.

De nouveaux voisins

Depuis la fin des années 1980, des espèces thermophiles ont été enregistrées pour la première fois dans la mer Ligure, montrant des processus de « méridionalisation » (fait référence à l’arrivée et à l’établissement d’espèces typiques du sud de la Méditerranée) et de « tropicalisation » du bassin (présence soudaine d’espèces tropicales non indigènes). De nombreux poissons ont simplement élargi leur aire de répartition vers le nord, comme la girelle paon ou le barracuda à bouche jaune et bien d’autres. En parallèle, plusieurs espèces de poissons, d’invertébrés, de macro- et microalgues, jamais enregistrés dans le passé et pour certains d’origine de la mer Rouge, sont maintenant observés, avec parfois d’importantes populations. Ces nouvelles espèces venues d’ailleurs causent un risque pour la faune et la flore locale, car certains poissons comme le poisson lion n’ont pas de prédateur dans ce nouveau milieu et peuvent être voraces (Cattaneo Vietti, 2018)!

Un groupe de girelle paon en train de frayer, au sud de la corse, Photo de Léon Le Guillou

Conclusion

En conclusion, les travaux de Cattaneo-Vietti ont été essentiels pour comprendre et mettre en lumière les impacts du réchauffement climatique sur nos mers et océans. Ces changements touchent bel et bien la faune et la flore sous-marine de méditerranée. En plus de cette « fièvre », la grande bleue voit ses habitants changer avec l’arrivée d’espèces tropicales et en parallèle, la disparition de populations locales, ce qui menace l’équilibre de la biodiversité du bassin.

Les écosystèmes littoraux de la Ligurie ont montré des signes de dégradation au cours des dernières décennies. Cependant, ces changements ne sont pas nécessairement irréversibles, et des signes encourageants ont été observés récemment. Par exemple, l’aire marine protégée de Portofino, créée en 1999, abrite désormais une population significative de mérous bruns, une espèce qui avait presque disparu de la mer Ligure depuis les années 1970 en raison de la surpêche (Cattaneo-Vietti, 2018).

Un mérou brun de méditerranée, en corse. Photo de Léon Le Guillou

Le fait de mieux comprendre les changements peut donc aider à mieux protéger l’environnement en incitant les états à prendre des mesures comme la création de zones protégées, la mise en place de quotas de pêche ou encore la protection de certaines espèces menacées.

Bibliographie

AquaPortail. (2021). Vibrion. Récupéré sur https://www.aquaportail.com/dictionnaire/definition/14797/vibrion

Cattaneo-Vietti, R. (2014). Yield and catch changes in a Mediterranean small tuna trap: A warming change effect? https://doi.org/10.1111/maec.12127

Cattaneo‑Vietti, R. (2018). Structural changes in Mediterranean marine communities : Lessons from the Ligurian Sea. https://doi.org/10.1007/s12210-018-0670-2

Dillon, J. A. (2023). Marine heatwaves need clear definitions so coastal communities can adapt. Nature.com. https://www.nature.com/articles/d41586-023-00924-2

Pacorel, J., & Flamand, G. (2022). En Méditerranée, des forêts de corail décimées par la chaleur. Agence France-Presse. https://www.lapresse.ca/actualites/environnement/2022-09-24/en-mediterranee-des-forets-de-corail-decimees-par-la-chaleur.php

Parc national des Calanques. (2022). Épisode de mortalité de gorgones en Méditerranée. Récupéré sur https://www.calanques-parcnational.fr/fr/actualites/episode-de-mortalite-de-gorgones-en-mediterranee

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