Il y a quelque chose de particulièrement fascinant dans l’existence d’un requin qui surpasse de plusieurs mètres la taille du grand requin blanc, tout en étant complètement inoffensif. Qu’est ce que l’évolution a voulu créer, en donnant naissance au requin baleine (Rhincodon typus)? Le plus grand poisson du monde appartient au super-ordre des Selachimorpha, regroupant toutes les espèces de requins, mais contrairement à ses cousins carnivores aux dents acérées il se nourrit de plancton qu’il gobe ou filtre à la manière des baleines à fanons. Le requin baleine possède plusieurs rangées de dents, mais celles-ci n’ont aucune utilité pour son alimentation : il aspire l’eau et l’expulse par ses branchies modifiées qui lui permettent de ne pas recracher sa nourriture, uniquement le liquide. Mais malgré ce régime alimentaire fréquent des océans, et cette taille impressionnante (aussi longue que celle d’un bus scolaire), le paradoxe est tel que seulement peu d’informations sont connues sur le requin baleine. Et il y a seulement quelques années, cette méconnaissance était bien plus importante encore.

Rhincodon typus peut peser jusqu’à 35 tonnes et mesurer 20 mètres de long.

Les requins baleine sont considérés comme en danger d’extinction selon la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) : les populations du poisson que l’on retrouve aussi bien dans l’Océan Indien que Pacifique et Atlantique, du Japon aux côtes Africaines en passant par la Polynésie, sont en net déclin depuis plusieurs années. Étant le dernier représentant vivant de son genre Rhincodon, c’est une partie de la diversité marine qui disparaîtrait avec lui – voilà pourquoi des mesures de conservation sont primordiales pour cette espèce.

Mais une autre raison qui en font une espèce unique réside sans doute dans l’étrange motif qui décore son corps. En effet, le requin baleine est couvert de taches blanches dont le motif, de la même manière que le pelage des guépards ou encore les empreintes digitales des humains, est unique pour chaque individu. En observant cette robe que de nombreuses cultures ont qualifié “d’étoilée”, les biologistes de la conservation ont réalisé que ce motif pouvait représenter, par sa ressemblance avec les étoiles du ciel, une façon exclusive de recenser les individus de l’espèce. Plus précisément, les scientifiques de la NASA ont réalisé que le même algorithme qui est utilisé par le télescope Hubble pour répertorier les étoiles, à quelques modifications près, peut être utilisé pour identifier les requins baleines dans leur milieu naturel. Cet algorithme est assez simple à comprendre : il s’agit de calculer les propriétés de l’ensemble des triangles possiblement formés entre les étoiles, puis de comparer ces propriétés entre deux images. Si les triangles sont les mêmes, alors la portion du ciel où se trouvent les étoiles devraient être les mêmes aussi : c’est la même chose pour les tâches, deux images dont les triangles sont en concordance sont associées au même individu au motif unique.

Les tâches distinctives d’un requin baleine photographiées dans le cadre du projet ECOCEAN. Source: ©NASA.

En association avec la NASA, le projet “ECOCEAN: photo-identification du requin baleine” est né. Son but? Créer une base de données regroupant des photographies des tâches de  Rhincodon Typus en milieu naturel que tout le monde –  et non pas uniquement les chercheurs – peut agrémenter d’images prises au cours de plongées : la seule indication est que celles-ci doivent être prises de suffisamment près pour que l’on distingue nettement les taches blanches du requin. La base de donnée se nomme également “Wildbook for Whale Sharks“. Grâce à ce projet, ce sont 32 000 photos qui ont été prises, identifiant environ 6 000 individus.

Non seulement ces tâches représentent un marquage permanent que les individus conservent pour l’entièreté de leur vie, mais en plus il s’agit d’une manière universelle de les identifier. Ceci est un enjeu crucial puisque le requin baleine est largement distribué dans les mers du globe, et que tous les pays ne possèdent pas la même juridiction en matière de conservation, ni les mêmes techniques de comptage et d’identification des populations à protéger. Appliquer cet algorithme permet d’établir un consensus dans la méthode utilisée pour observer l’évolution des populations de requins baleine. Cela ouvre également de nouveaux horizons pour la conservation : en l’adaptant, l’algorithme pourrait permettre de répertorier les individus d’autre espèces, dans l’eau comme sur la terre, qui possèdent également des motifs distinctifs qui restent les mêmes tout au long de leur vie. 

Le requin baleine porte donc bien son nom, à Madagascar: on l’appelle “marokintana” ce qui signifie, en malgache, “de nombreuses étoiles”…

Sources :

  1. Kein, Brandon. 2011. “Tracking whale sharks with astronomical algorithms”. Wired. https://www.wired.com/2011/05/whale-shark-tracking/ 
  2. Rowat, D., et K. S. Brooks. 2012. « A Review of the Biology, Fisheries and Conservation of the Whale Shark Rhincodon Typus ». Journal of Fish Biology 80 (5): 1019‑56. https://doi.org/10.1111/j.1095-8649.2012.03252.x.
  3. Pierce, S.J. & Norman, B. 2016. Rhincodon typus. The IUCN Red List of Threatened Species 2016: e.T19488A2365291. https://dx.doi.org/10.2305/IUCN.UK.2016-1.RLTS.T19488A2365291.en. Downloaded on 13 February 2021.
  4. Garner, Rob. 2018. « Star-Mapping Algorithms Track Endangered Animals ». Text. NASA. 6 avril 2018. http://www.nasa.gov/feature/goddard/star-mapping-algorithms-track-endangered-animals.
  5. Giaimo, Cara. 500. « To Identify Whale Sharks, Scientists Looked to the Stars ». Atlas Obscura. 04:00 500. http://www.atlasobscura.com/articles/whale-shark-identification-catalog-telescope-algorithm.

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