L’enjeu de l’érosion peut sembler être un problème lointain pour ceux et celles d’entre nous qui habitent les grandes villes. Toutefois, pour quelqu’un qui voit chaque année la côte se rapprocher des fondations de la maison qu’il ou elle habite depuis plusieurs années avec sa famille, le problème est un peu plus préoccupant. En contraste avec de nombreux enjeux environnementaux modernes, l’érosion peut se produire sur une échelle de temps très courte et ainsi devenir visible à nos yeux. C’est également un phénomène qu’on peut constater à l’œil nu lorsque des portions de terrain disparaissent littéralement. S’il est probable de ne pas réaliser l’importance des changements majeurs, mais subtils du climat, il est toutefois difficile de rester de marbre devant le retrait d’un mètre des côtes en une année.
Il faut tout d’abord garder en tête que nous ne contrôlons pas l’érosion, mais nous influençons un processus naturel qui interagit avec de nombreux autres phénomènes. L’érosion est un processus géomorphologique (soit ayant attrait à la science des reliefs et leur évolution) qui a un effet sur la structure des zones côtières par le transport et la soustraction de sédiments1. Toutefois, les activités anthropiques influencent directement et surtout indirectement ces phénomènes de nombreuses façons. Deux grands facteurs sont responsables du retrait des berges: la montée du niveau de la mer et les changements de la structure des côtes. Globalement, les trois quart du recul du littoral d’ici à la fin du siècle seront dus à l’accélération de l’élévation du niveau de la mer en réponse aux changements climatiques. Ceci s’explique par le fait que lorsque le niveau de l’eau augmente, une proportion croissante du littoral devient submergée, et l’érosion qui en découle augmente aussi en parallèle. Les changements climatiques ont aussi pour conséquence d’augmenter l’intensité et la fréquence d’événements extrêmes, dont les vagues et les tempêtes. La portion restante de l’érosion des côtes est attribuable à des forces physiques anthropiques, résultant par exemple de construction d’infrastructures de rivage, et géologiques2. De plus, l’exploitation anthropique des milieux côtiers et les infrastructures construites ont souvent pour impact de réduire les apports de sédiments vers les côtes. C’est le cas notamment des réservoirs et barrages hydroélectriques qui peuvent réduire les flux de sédiments naturels des rivières jusqu’à 80%3.
La “zone côtière” désigne la zone située immédiatement après la rive, et peut inclure des dunes de sable, des falaises et des rives. Étant le lieu de rencontre entre la terre et l’océan, c’est un endroit très actif qui subit la force physique des vagues. Ceci provoque des variations de pression dues à l’eau et l’air qui s’infiltrent dans des crevasses, la friction de fragments de roche transportés par les vagues ainsi que la dissolution des minéraux des roches. Bien sûr, la vitesse avec laquelle la côte s’érode en conséquence dépend de plusieurs facteurs, dont sa composition, le grès étant par exemple parmi les matériaux les plus fragiles1.
Les plages de sable considérées sévèrement menacées par l’érosion sont celles qui devraient subir un retrait des côtes de plus de 100 mètres d’ici 2100, bien que la majorité ait une largeur inférieure à cette limite. C’est entre 35 et 50% des plages de sablonneuses du monde qui subiront une érosion sévère d’ici la fin du siècle, selon une étude publiée dans Nature Climate Change2.
Le foin des dunes
Que faire pour aider à réduire l’accélération actuelle de l’érosion des côtes? En premier lieu, il faut réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre si l’on veut ralentir l’augmentation du niveau moyen global de la mer. En effet, par l’entremise des changements climatiques, des émissions “modérées” de gaz à effet de serre (GES) pourraient permettre de réduire presque de moitié les pertes en largeur des plages de sable, en comparaison avec un scénario plus catastrophique de GES2.
D’autres solutions plus concrètes incluent la végétalisation, qui permet notamment de stabiliser et de protéger les dunes. Une plante particulièrement utilisée à cette fin aux Îles-de-la-Madeleine est l’Ammophile à ligule courte (Ammophilia breviligulata), formée de longues tiges fines à l’apparence plutôt banale, mais qui ont une grande utilité pour combattre l’érosion. Elle permet l’ensablement, car elle capture du sable à travers ses tiges en faisant obstacle au vent, et pousse toujours plus haut lorsque le sable s’accumule au sol. De plus, les rhizomes et les racines qui se ramifient dans le sol ont un effet stabilisateur. Plus on s’éloigne de la mer, plus la dune est dite “fixée” et abrite différentes espèces végétales et animales4.
La dégradation des milieux côtiers ne représente pas juste une perte de terrain, mais une perte d’un écosystème et de tous les services écologiques qu’il prodigue. Si nous reprenons l’exemple des Îles-de-la-Madeleine, la présence de ces structures est primordiale à la formation de lagunes d’eau douce ayant une faune et une flore très riches. Les dunes protègent les nappes phréatiques d’eau douce, et près de 50 000 oiseaux migrateurs y font également halte ou y nichent5. Ainsi, les solutions idéales pour protéger les plages de sable sont généralement des méthodes et des structures qui permettent de capter le sable, sans toutefois modifier drastiquement la structure des côtes. L’enrochement peut sembler être une bonne solution a priori, puisqu’un “mur” de roches permet de bloquer les vagues, mais a pour conséquence de concentrer la force des vagues aux extrémités de l’enrochement et donc d’y accélérer l’érosion à long terme si le “mur” n’est pas rallongé5.
L’érosion est discriminatoire
Cela ne fait pas de doute, le problème des côtes qui s’érodent affecte davantage certains groupes de personnes comme c’est aussi le cas de plusieurs autres enjeux reliés aux changements climatiques. La zone côtière peu élevée, qui désigne la région à moins de 10 mètres en haut du niveau de la mer, est très densément peuplée en raison des nombreux services écosystémiques de ces milieux. Un bénéfice que retirent les humains d’un écosystème est considéré comme un service écosystémique. On observe aussi une tendance générale importante de croissance urbaine dans les milieux côtiers, comme en Chine en raison de stratégies économiques. Les statistiques démontrent que, dans les pays les moins développés, comme le Bangladesh, un plus grand pourcentage de la population est établi dans les zones côtières peu élevées, rendant ces populations très vulnérables, non seulement à l’érosion, mais aussi aux autres effets des changements climatiques6.
Il faut aussi prendre en considération que les pays à faible ou moyen revenu n’ont pas nécessairement les ressources économiques et politiques pour adopter des solutions préventives, et certains devront donc se résoudre à des mesures plus drastiques, telles que la relocalisation des gens habitant trop près des rives6,7.
La relocalisation de populations est non seulement un enjeu humanitaire majeur, mais implique également des coûts astronomiques de l’ordre de milliards de dollars au niveau mondial2. Toutefois, lorsqu’il n’est pas suffisamment contrôlé, le recul des rives peut faire perdre des sites culturels et historiques, sur lesquels se trouvent des musées, des lieux du patrimoine, des artisans et de nombreux commerces8. Pour de nombreux archipels et pays, les plages de sable sont aussi souvent des sites touristiques d’une grande importance pour l’économie9.
Dans le but de protéger les populations vulnérables et de diminuer le niveau d’érosion, les solutions incluent le déplacement des habitations et des activités économiques6. Des exemples passés, au Kenya par exemple, ont aussi démontré l’importance de développer des mesures adaptatives basées en priorité sur les connaissances et les besoins des habitants locaux10. Un support international de ces régions vulnérables sera nécessaire, surtout considérant que l’historique des changements climatiques est fortement relié aux activités des populations et des pays à revenu élevé6.
Il est urgent de mettre en place des solutions contre l’érosion, sans oublier que le Canada sera le deuxième pays au monde qui perdra la plus grande longueur totale de plages de sable d’ici 2100, soit 6,426 km selon un scénario probable de production mondiale de GES2.
Sources:
- Garrison, T. et Ellis, R. (2014). Oceanography: An Invitation to Marine Science (9e éd.). Cengage Learning.
- Hinkel, J., Nicholls, R. J., Tol, R. S. J., Wang, Z. B., Hamilton, J. M., Boot, G., Vafeidis, A. T., McFadden, L., Ganopolski, A. et Klein, R. J. T. (2013). A global analysis of erosion of sandy beaches and sea-level rise: An application of DIVA. Global and Planetary Change, 111, 150‑158. 10.1016/j.gloplacha.2013.09.002
- Ranasinghe, R., Wu, C. S., Conallin, J., Duong, T. M. et Anthony, E. J. (2019). Disentangling the relative impacts of climate change and human activities on fluvial sediment supply to the coast by the world’s large rivers: Pearl River Basin, China. Scientific Reports, 9(1), 9236. 10.1038/s41598-019-45442-2
- Attention FragÎles. (2010a). Dunes et plages à perte de vue. Attention FragÎles. http://www.attentionfragiles.org/fr/decouvrir-les-iles-carte/dunes-et-plages.html
- Attention FragÎles. (2010b). Lutter ensemble contre l’érosion. http://www.attentionfragiles.org/docs/fichiers/lutter-ensemble/af_lutter-ensemble-contre-l-erosion_final_ecran.pdf
- McGranahan, G., Balk, D. et Anderson, B. (2007). The rising tide: assessing the risks of climate change and human settlements in low elevation coastal zones. Environment and Urbanization, 19(1), 17‑37. 10.1177/0956247807076960
- Mentaschi, L., Vousdoukas, M. I., Pekel, J.-F., Voukouvalas, E. et Feyen, L. (2018). Global long-term observations of coastal erosion and accretion. Scientific Reports, 8(1), 12876. 10.1038/s41598-018-30904-w
- Radio-Canada. (2016, 7 juin). Érosion des berges aux Îles: l’heure des choix. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/785877/erosion-berges-iles-medeleine-ouranos-impacts-rapport
- Vousdoukas, M. I., Ranasinghe, R., Mentaschi, L., Plomaritis, T. A., Athanasiou, P., Luijendijk, A. et Feyen, L. (2020). Sandy coastlines under threat of erosion. Nature Climate Change, 10(3), 260‑263. 10.1038/s41558-020-0697-0
- Tiffen, M., Mortimore, M. et Gichuki, F. (1994). More People, Less Erosion. John Wiley and Sons.
Superbe article, Amélie! J’aime beaucoup les photos qui sont, en plus d’être informatives, vraiment très belles. La rime pour le titre m’a fait sourire 😉
Merci beaucoup Téo!! Un titre accrocheur, c’est la base de tout!