Chaque semaine, je pars à l’aventure dans les serres du Jardin botanique de Montréal, à la recherche d’une plante ou d’un phénomène à découvrir et à partager avec vous.
La Californie a une place très spéciale dans mon coeur. J’en ai des merveilleux souvenirs, dont ceux où je me promène dans les forêts de cyprès de Point Lobos, aux talons de ma soeur et sous le regard attentif du reste de la famille. Plusieurs les qualifieraient d’effrayantes, mais ces forêts étaient pour moi rendues encore plus féériques par les plantes pendant des branches comme des longs cheveux argentés. Cette chevelure, mon grand-père l’appelait de la «mousse espagnole» et il me racontait qu’elle ne poussait que lorsque l’air était très pur. C’est cette même plante que j’ai redécouverte lors de ma première visite dans les serres dans le cadre de cette chronique.
La «mousse espagnole» fait partie de ce grand nombre de plantes avec un nom commun trompeur. En fait, la distribution de Tillandsia usneoides se limite aux Amériques, bien loin de l’Espagne. Originaire d’Amérique du Sud, elle est aussi très répandue au sud des États-Unis, où elle fait partie intégrante du paysage des marécages de la Louisianne. Et, loin d’être une mousse, c’est plutôt une plante à fleurs de la famille des Broméliacées.
Il est vrai que cette plante n’a pas l’apparence d’une Broméliacée typique. L’étymologie de son épithète scientifique «usneoides» signifie d’ailleurs «qui ressemble à Usnea», le dernier terme désignant un genre de lichen fruticuleux poussant lui aussi sur les arbres. Ses fleurs, quant à elles, sont très petites et d’une couleur vert clair se fondant avec le reste de la plante. Nous sommes donc loin des Broméliacées classiques aux grandes feuilles coriaces et aux inflorescences spectaculaires. Une autre particularité de T. usneoides est son mode de croissance. La croissance de sa mince tige change de direction à chaque noeud, créant un patron de zig-zag caractéristique. De plus, la partie vivante de chaque individu de «mousse espagnole» ne mesure que 15 à 20 centimètres en moyenne. Donc, ces grands rideaux qui décorent les arbres sont en fait composés de plusieurs plantes qui se chevauchent et s’entremèlent!
Quelques exemples de Broméliacées:
Il y a tout de même une caractéristique importante que T. usneoides partage avec la majorité des autres Broméliacées: son mode de vie épiphyte. La mousse espagnole pousse en effet sur les arbres, mais ne se nourrit pas de ceux-ci, au contraire des plantes parasites. Elle produit plutôt l’entièreté de sa nourriture par photosynthèse. Pour ce qui est des nutriments et de l’eau dont elle a besoin, c’est dans l’air qui l’entoure qu’elle les puise, par l’entremise des écailles grisâtres qui la recouvrent. C’est d’ailleurs pourquoi on appelle les Broméliacés, et plus particulièrement la mousse espagnole, les «filles de l’air».
Contrairement à ce que beaucoup pensent, la mousse espagnole n’est donc pas nuisible aux arbres qui lui servent de support, mise à part l’ombre ou le poids supplémentaire qui peuvent être néfastes lorsqu’elle est trop abondante. De surcroît, elle est elle-même utile à une diversité d’espèces animales: La paruline à gorge jaune et la paruline à collier y nichent, ainsi que plusieurs espèces de chauves-souris. D’autres oiseaux récoltent T. usneoides pour fabriquer leurs nids, et on a même recensé une espèce d’araignée (Pelegrina tillandsia) qui s’y trouve exclusivement.
Pour ce qui est de la pureté de l’air, mon grand-père n’avait pas entièrement tort! Malgré le fait qu’elle pousse bien près des grands centres urbains, il est logique de penser que la mousse espagnole serait sensible à la pollution, puisqu’elle est si dépendante de l’air qui l’entoure. Sa capacité à absorber des métaux fait d’ailleurs d’elle le sujet de plusieurs recherches sur la qualité de l’air. Les plantes épiphytes comme T. usneoides pourraient donc nous servir d’indicatrices du niveau de pollution de l’air.
Malgré les côtés négatifs que plusieurs lui attribuent à tort, cette mousse qui n’en est pas une est donc plutôt utile. Et si vous avez été charmé-e-s par son apparence féérique, sachez qu’elle est très facile à faire pousser à la maison! Elle n’a besoin que d’un support (végétal ou non), de lumière abondante et de suffisamment d’humidité pour croître et rendre n’importe quel endroit un peu plus vivant.
Glossaire
Mousse: Plante invasculaire appartenant à l’embranchement des bryophytes (Bryophyta)
Lichen: Association symbiotique entre un champignon et un organisme unicellulaire photosynthétique (algue ou cyanobactérie)
Fruticuleux: Caractérise les lichens dont la forme de croissance ressemble à un arbuste ou des tiges plus ou moins ramifiées
Références
Garth, R.E. (1964). The Ecology of Spanish Moss (Tillandsia usneoides): Its Growth and Distribution, Ecology, 45(3), 470-481. Consulté le 17 février 2015. Repéré à:
http://www.jstor.org/stable/1936100?seq=1#page_scan_tab_contents
Immel, D.L. (2003). Plant Guide; Spanish Moss (En ligne), United States Department of Agriculture, Natural Resources Conservation Service. Consulté le 17 février 2015. Repéré à:
http://plants.usda.gov/plantguide/pdf/cs_tius.pdf
Gill, D. (2010). What you need to know about Spanish moss (En ligne), LSU AgCenter. Consulté le 17 février 2015. Repéré à:
http://text.lsuagcenter.com/news_archive/2010/january/get_it_growing/What-you-need-to-know-about-Spanish-moss.htm
HOMEJARDIN. Les Broméliacées; Leur culture et leur entretien [Dernière mise à jour en 2015]. Consulté le 17 février 2015. Repéré à:
http://www.homejardin.com/bromeliacees-coup-de-pouce-page-1-sur-2/entretien-et-culture.html
Photographies de Broméliacées
B. pyramidalis: http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/4a/Billbergia_pyramidalis_in_Hyderabad_Nursery_W_IMG_0428.jpg
A. cosmosus: http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/77/Ananas.comosus1web.jpg
N. fulgens: http://en.wikipedia.org/wiki/Nidularium#mediaviewer/File:Nidularium_fulgens_HabitusInflorescence_BotGardBln090f6.jpg