Il n’est jamais bon d’entendre parler du même virus pendant trop longtemps… Une alternative au sujet du SARS-CoV-2: le virus d’immunodéficience humaine (VIH). Ce virus attaque les lymphocytes T CD4+, des acteurs essentiels dans la réponse immunitaire contre des agents pathogènes. Sans traitement, l’infection par le VIH peut mener au syndrome d’immunodéficience humaine acquis (SIDA).
Quelles sont les cibles du VIH?
Les lymphocytes T CD4+ auxiliaires (LT CD4+) jouent un rôle très important dans la réponse immunitaire contre des agents infectieux. Ils sécrètent des cytokines qui leur permettent de réguler l’activité d’autres cellules immunitaires, notamment des lymphocytes B et des LT cytotoxiques, en fonction du type d’infection¹. L’importance des LT CD4+ devient manifeste lorsque le système immunitaire en est privé. Ces LT sont les cibles primaires du VIH. L’entrée du VIH s’effectue par la double interaction entre la protéine d’enveloppe du virus et le récepteur CD4 du LT, suivi du corécepteur CCR5 du LT. Cela permet le fusionnement des membranes du virus et de la cellule, et le relâchement du matériel génétique viral dans le cytoplasme¹.
Le mode de fonctionnement du VIH
Le VIH est un rétrovirus, c’est-à-dire qu’il est capable d’intégrer son ADN virale dans le génome de la cellule infectée. Il possède une enzyme qui fait une copie ADN à partir du génome viral composé d’ARN. Avec cette copie du brin, l’enzyme fabrique un double-brin appelé provirus. Ce dernier va être intégré au génome de la cellule infectée à l’aide d’enzymes virales et cellulaires. Le système de transcription et traduction de la cellule se charge alors de créer de l’ARN messager à partir du provirus et de synthétiser des protéines virales. La cellule infectée finit par produire et libérer des virions, des particules virales contenant le matériel génétique du virus et le communiquant à d’autres cellules¹.
Les cellules dendritiques agissent toujours en tant que présentatrices d’antigène et permettent au virus d’infecter les LT. Elles présentent les antigènes viraux aux cellules LT CD4+, qui sont les principales cibles du VIH.
Durant l’infection primaire, le taux des cellules LT CD4+ diminue. Il augmente un peu ensuite, ce qui correspond a un léger déclin du virus: l’apparition d’antigènes spécifiques au VIH est suivie de celle des anticorps et de LT CD8+ cytotoxiques spécifiques au VIH. Le virus est cependant capable d’échapper aux cellules tueuses du système immunitaire telles que les LT CD8+, ce qui explique la reprise de la déplétion des LT au fil du temps.
Les modes d’échappatoire du VIH
Pour échapper aux cellules du système immunitaire, le VIH emploie notamment la variation de l’épitope, des mutations qui apparaissent lors de la réplication virale et qui modifient la capacité des cellules infectées à être reconnus par des cellules immunitaires.
Une autre voie d’échappatoire du VIH est sa séquestration: le virus est séquestré dans certains endroits où l’action des LT CD8+ est limitée, ils ne sont pas capables d’éliminer le virus, par exemple dans les cellules gliales du cerveau.
Une troisième façon pour les cellules infectées par le VIH de passer inaperçues, serait la régulation négative (downregulation en anglais) des antigènes des leucocytes humains (HLA en anglais). Elle consiste en la diminution de production de matériel cellulaire. Les cellules infectées se font ainsi discrètes et échappent aux LT CD8+.
Un moyen pour le VIH de combattre les LT CD8+ serait d’induire leur apoptose, ce qui expliquerait la déplétion des LT au cours de l’infection. L’apoptose des LT CD8+ semble être induite par l’activation immunitaire chronique ², ³.
Avancée du virus au cours de l’infection
Les LT reprennent lentement leur déplétion au fil des années. En effet, non seulement la réplication du VIH est cytopathogène, mais l’infection peut également être responsable de transcrits incomplets d’ADN viral, impliquant une réponse inflammatoire drastique et la mort des cellules dans les tissus locaux. L’infection du thymus par le VIH empêche le système immunitaire de générer de nouveaux LT CD4+.
La grande partie de la réplication virale se déroule dans les tissus lymphoïdes du tube digestif et y induit la mort des cellules LT CD4+. Il en découle un risque de translocation bactérienne qui mène à une possible activation immunitaire. Les lymphocytes s’activent et prolifèrent massivement avant de mourir. La réplication intense du VIH est accompagnée de la destruction les tissus lymphoïdes du tube digestif 4 5 6.
Les LT CD8+ constituent une barrière qui provoque le court déclin du VIH, mais qui ne tarde pas à être surmontée. Les LT CD4+ sont éliminés et leur régénération est rendue impossible. De façon générale, le système immunitaire va être progressivement affaibli; il n’y a alors plus de protection contre les agents infectieux. Cet affaiblissement progressif du système immunitaire et l’inflammation chronique est une des étapes vers le syndrome d’immunodéficience acquis (SIDA) 4. Le SIDA est la phase terminale de l’infection du VIH, qui s’ensuit si l’infection n’a pas été contrôlée par un traitement. L’individu atteint est immuno-vulnérable à un tel niveau qu’il n’est plus capable de se défendre contre des pathogènes et cède à des maladies telles que la pneumonie, le sarcome de kaposi, l’isosporose, etc. Si le taux de LT CD4 est inférieur à 200 cellules/uL ou si une maladie liée au SIDA apparaît, le patient est diagnostiqué comme atteint du SIDA⁷.
Combattre le VIH
Chaque étape d’entrée et de prolifération du VIH dans la cellule constitue une cible pour de potentielles mutations offrant une immunité contre le VIH, et pour les médicaments antirétroviraux. La thérapie antirétrovirale (TAR) est un ensemble de médicaments qui inhibent la réplication du VIH. Suivre cette thérapie est un moyen de diminuer le risque de transmission du VIH et de rallonger l’espérance de vie des personnes atteintes en améliorant les fonctions du système immunitaire. TAR diminue grandement les risques de développer le SIDA. Il ne s’agit cependant pas d’une guérison du VIH, car sitôt le traitement arrêté, le virus reprend le dessus et le patient rechute. En effet, une fois que l’ADN du VIH est intégré au génome du patient, le virus peut se répliquer tant que la cellule ne meurt pas. Le TAR peut ainsi empêcher le virus de se répliquer, mais pas d’éliminer l’infection si l’ADN du virus est intégré. Les cellules infectées peuvent constituer des réservoirs de VIH, notamment dans les ganglions lymphatiques. L’action des médicaments antirétroviraux et des cellules immunitaires de l’hôte y est limitée. Si un patient arrête la TAR, le virus utilise les réservoirs pour faire une remontée¹.
Il existe des mutations menant à l’immunité contre le VIH. Le corécepteur CCR5 est la porte d’entrée principale pour le VIH. Que se passe-t-il chez un individu qui n’a pas ces corécepteurs? Il existe chez certains individus une mutation appelée ccr5-Δ32. Il s’agit d’une délétion de 32 paires de bases qui rend le corécepteur CCR5 non-fonctionnel, empêchant ainsi les LT CD4+ d’être infectés par le virus 8 9. Cette mutation a permis à Timothy Ray Brown de guérir du VIH.
Qui est Timothy Ray Brown?
Aussi connu sous l’appellation du “patient de Berlin”, il s’agit de la première personne au monde à avoir été guéri du VIH. Il a suivi une TAR dont des inhibiteurs de protéases, qui se lient aux sites des protéases du virus et induisent la formation de particules virales immatures et non infectieuses 10. Il a alors été diagnostiqué avec une leucémie myéloïde aiguë, pour laquelle il a reçu une transplantation de cellules souches. Le match sélectionné était un donneur porteur de la mutation ccr5-Δ32, qui comme expliqué ci-dessus, empêche le VIH d’infecter les LT CD4+ a cause de la non-fonctionnalité du récepteur CCR5. Le jour de la transplantation, Timothy Ray Brown a arrêté sa médication antivirale contre le VIH. L’arrêt de la TAR chez un patient ordinaire est généralement synonyme d’une rechute du patient et de l’augmentation du taux de VIH dans le sang. Mais pour le patient de Berlin, le VIH est resté indétectable. C’est resté ainsi pour 12 ans ¹¹. Timothy Ray Brown est mort de la leucémie, le 29 septembre 2020. Cependant, même durant ses derniers mois de combats contre la maladie, son taux de VIH est resté indétectable, laissant de grands espoirs à la communauté scientifique pour une avancée dans la recherche de la guérison du VIH¹².
Les contrôleurs d’élites
Parmi les individus positifs au VIH, une portion très petite sont des contrôleurs d’élites: il s’agit d’individus capables de contrôler leur charge virale de VIH et de le maintenir à des niveaux indétectables, sans faire usage de la thérapie antivirale. Leur molécules de HLA sont fortement représentées, ce qui permet une meilleure reconnaissance des cellules infectées par les cellules du système immunitaire. Les LT CD8+ des contrôleurs d’élite sont supérieurs aux LT CD8+ des patients ordinaires, notamment grâce à leur polyfonctionnalité: leurs processus de dégranulation, sécrétion de cytokines, de perforine et de granzyme B , sont très efficaces. Les LT CD8+ des contrôleurs d’élites sont moins limités. La qualité de la réponse antivirale semble avoir un plus gros impact sur la charge virale, que la quantité ou le phénotype des réponses des LT CD8+ ¹³.
Conclusion
Ainsi, il reste de nombreux progrès à faire dans le domaine de la recherche du VIH. Dernièrement, une combinaison de deux médicaments antirétroviraux, le rilpivirine et le cabotegravir, a été mise au point: elle permettrait une thérapie antirétrovirale sous forme d’injection à intervalles mensuelles, offrant une alternative aux comprimés que les patient doivent avaler quotidiennement14.
En 2019, environ 38 millions de personnes étaient atteintes du VIH. Environ 81% de ces 38 millions de personnes atteintes savaient qu’elles l’étaient. Cela signifie que 19% des personnes atteintes, c’est-à-dire 7.1 millions de personnes, ne se sont pas fait tester ou n’ont pas eu accès au test. Vers la fin 2019, 67% des personnes atteintes avaient accès à un traitement de thérapie antirétrovirale (TAR). Cela signifie qu’environ 12,6 millions de personnes n’ont pas accès au TAR. En 2019, environ 690 000 personnes sont décédées suite à des maladies liées au SIDA. Cette maladie témoigne des inégalités sociales, notamment avec la haute propagation du VIH et l’accès restreint à des traitements dans les pays en développement15. De nombreux progrès restent à faire, mais la situation s’est globalement améliorée depuis le début de l’épidémie. En Afrique, le continent le plus touché par le VIH, l’espérance de vie entre 2000 et 2012 a augmenté de 8% ¹. Avec les récents progrès en laboratoire, le VIH n’a qu’à bien se tenir.
Sources:
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