Le pétrole le plus « sale » au monde. Un bilan environnemental qui s’alourdit de plus en plus et une exploitation qui, pourtant, augmente. Une amplification fulgurante des émissions de gaz à effet de serre. Des déversements quotidiens. Des écosystèmes menacés et détruits… C’est cela, les sables bitumineux. Et le Québec n’y échappera pas, du moins pas pour l’instant. Deux projets majeurs de transport pétrolier concrétiseront l’arrivée des sables bitumineux au Québec. Voici sous forme de dossier, les implications réelles de ces deux projets, en trois volets :
- La vérité sur les projets pétroliers
- La plus grande priorité des compagnies pétrolières : la protection de l’environnement et de la santé
- Les véritables impacts économiques et la résistance
La vérité sur les projets pétroliers
Le premier projet de transport pétrolier en importance, du fait qu’il a déjà été approuvé par l’Office national de l’énergie (ONÉ), est le projet d’inversion de la ligne 9B par la compagnie Enbridge. Cet oléoduc transportait jusqu’à récemment 240 000 barils de pétrole conventionnel par jour de Montréal jusqu’à Sarnia, en Ontario. En 2012, l’ONÉ approuve un premier projet d’inversion entre Sarnia et North Westover, en Ontario, ou encore la section 9A. Les travaux se terminent en 2013. Enbridge s’attaque aussi à l’autre section, la ligne 9B, qui relie North Westover à Montréal et dépose à l’automne 2012 un projet d’inversion de cette ligne. Par la même occasion, Enbridge souhaite augmenter le débit de transport à 300 000 barils par jour et modifier le type de pétrole transporté pour celui provenant des sables bitumineux albertains. L’ONÉ approuve finalement le projet en mars 2014 et Enbridge prévoit l’inversion pour 2015.
En parallèle, la compagnie albertaine TransCanada présente son projet « Oléoduc Énergie Est », qui s’inscrit dans la même optique que le projet d’Enbridge : le transport du pétrole provenant des sables bitumineux de l’Ouest du Canada vers l’Est. L’Oléoduc Énergie Est est cependant d’une plus grande envergure. En effet, TransCanada souhaite élaborer un oléoduc permettant le transport de 1,1 million de barils de brut (sables bitumineux et gaz de schiste) par jour sur une distance de 4 600 kilomètres, de l’Alberta jusqu’au Nouveau-Brunswick. Cet oléoduc serait composé d’un gazoduc déjà existant qui serait converti et de nouveaux tronçons. Le gazoduc est situé entre Burstall en Saskatchewan et Cornwall en Ontario et a une longueur de 3 000 kilomètres. Les nouveaux tronçons quant à eux seraient construits entre Hardisty, le point de départ en Alberta, et Burstall et de Cornwall jusqu’à Saint-John, au Nouveau-Brunswick. Le deuxième tronçon passerait, entre autres, près des municipalités de Montréal, de Lévis, et dans plusieurs cours d’eau, dont la rivière des Outaouais et le Saint-Laurent. TransCanada projette également l’établissement des infrastructures nécessaires pour approvisionner les raffineries de l’Est, soit Suncor à Montréal, Ultramar à Lévis et Irving Oil à St-John. La compagnie voit encore plus loin que le simple approvisionnement de l’Est et prévoit la conquête d’autres marchés par navires-citernes, en établissant de nouveaux terminaux : un en Saskatchewan, un à Cacouna et le dernier au Nouveau-Brunswick. Avec chance, l’ONÉ fera preuve de raison et n’acceptera pas ce projet, mais ça reste à surveiller, car sa conclusion sera présentée au cours de l’année 2015.
L’illustre portrait de la compagnie Enbridge et la sécurité incontestable de son projet
Comme la concrétisation du projet d’inversement de la ligne 9B est plus réelle et rapprochée dans le temps que ne l’est celle du projet de TransCanada, je me pencherai davantage sur le premier, mais ne vous inquiétez pas, les risques encourus et les impacts du deuxième projet correspondront au premier et seront certainement pires encore.
Le projet d’inversion de la ligne 9B qui se concrétisera sous peu est assez épeurant. Il va sans dire que la compagnie canadienne Enbridge possède un historique en matière d’incidents des plus déplorables. Le National Transportation Safety Board (aux États-Unis) parle de « culture de déviance » pour qualifier la façon dont la compagnie traite la sécurité au niveau de ses infrastructures. En effet, en mai 2013, suite à un rapport émis par l’ONÉ, on apprend que 117 de ses 125 stations de pompage ne suivent pas les réglementations du même organisme et que la compagnie nie tout blâme allant dans ce sens. De plus, l’ensemble de son réseau, dont la compagnie se vante d’être le « plus grand au monde », ne serait desservi que par huit génératrices en cas d’urgence et un bouton d’arrêt est inexistant dans 83 de ses 125 stations de pompage. Un autre exemple flagrant de cette culture de déviance est le bris de sa ligne 6B en 2010 qui a mené à un déversement (un parmi tant d’autres) monstre dans la rivière Kalamazoo, au Michigan. Voici l’incident en quelques chiffres (dévoilés par l’Agence de protection de l’environnement (EPA) et le National Transportation Safety Board des États-Unis):
4,3 millions de litres : c’est la quantité de pétrole déversé dans la rivière;
17 heures : c’est le temps qu’a mis la compagnie pour réagir au déversement et entreprendre l’arrêt de la fuite;
2 : c’est le nombre de fois que les employé-e-s ont augmenté le débit de pompage durant le déversement;
81% : c’est la proportion du déversement qui résulte de ces augmentations de débit;
720 000 litres : c’est la quantité de pétrole qui était toujours dans la rivière 3 ans après l’incident.
Les faits parlent d’eux-mêmes et vous déclarer que la compagnie Enbridge n’a pas la capacité et l’expertise nécessaire pour faire fonctionner un oléoduc et réagir à un incident est plutôt futile.
Drôle de coïncidence (ou pas…), cette ligne venait d’être inversée et était en service depuis 40 ans. Seulement en analysant les diverses composantes du projet d’inversion de la ligne 9B, on peut prévoir aisément le même type de résultats catastrophiques. Le pipeline est en service depuis bientôt 40 ans (il présente déjà des signes de corrosion) et a été conçu pour transporter du pétrole conventionnel ou léger. Enbridge prévoit de modifier le type de pétrole transporté pour du pétrole bitumineux. Ce dernier est plus lourd, plus visqueux et sa concentration en soufre est plus élevée. Le soufre, la pression causée par l’augmentation du débit dû à la plus grande lourdeur du pétrole ainsi que la plus grande friction causée par la viscosité du bitume augmente d’une façon très importante et même alarmante les risques de corrosion du pipeline. Par-dessus tout cela, Enbridge dit vouloir augmenter la quantité de pétrole transporté par jour, ce qui hausse d’autant plus la pression et la friction, et donc la corrosion du pipeline. On se doute aussi que la conversion d’un gazoduc en un pipeline, comme le propose actuellement TransCanada dans son projet, n’échappera pas à la même fatalité que la ligne 9B, surtout considérant que les mêmes dénonciations sont portées à son égard en matière de sécurité et de fiabilité et que le gazoduc a été construit entre 1958 et 1973.
De plus, la ligne 9B traverse au moins 317 cours d’eau et il n’y a que 74 vannes dites « intelligentes » positionnées pour la protection de ces cours d’eau, dont 62 sont contrôlées à distance. Il va sans dire que, avec le temps de réaction des employé-e-s au déversement dans la rivière Kalamazoo, je me demande bien combien de temps cela prendrait pour stopper un déversement causé dans un secteur où les vannes ne sont même pas contrôlées à distance… Si on ajoute à cela le nombre de fuites signalées par Enbridge durant ces dernières années (tableau ci-dessous), on ne peut pas fermer les yeux sur l’énorme facteur de risque que nous encourons tous et toutes en laissant se concrétiser ce funeste projet.
La culture de déviance d’Enbridge et celle extrapolée de TransCanada constituent une insulte notoire à l’ensemble des populations et doivent être mises au grand jour, à défaut de quoi ces deux compagnies continueront sans cesse d’agir, ou plutôt d’exister. Leur permettre d’exister constitue, par extension, de permettre à des projets aussi ridicules que ceux-ci de perdurer.
DOSSIER – À suivre…
IMPORTANT!
Lors de l’Assemblée générale de positionnement du 5 novembre 2014 de l’AÉBUM (Association des étudiant-e-s en biologie de l’Université de Montréal), la position suivante a été adoptée à l’unanimité :
Que l’AÉBUM s’oppose à tout projet d’oléoduc tel que la ligne 9 ou autre projet visant le transport ou l’exploitation d’énergies fossiles sur le territoire québécois.
Ainsi, participons tous à la manifestation contre les projets pétroliers et le Plan Nord!
Date : Samedi le 15 novembre, à 13h
Lieu de départ : Place Norman-Bethune, Montréal
Contingent de l’Association de biologie: dans la place Norman-Bethune, coin Guy et de Maisonneuve
Lien vers l’évènement Facebook : https://www.facebook.com/events/352345144940065/?source=1
Références
Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) et Greenpeace Canada (2013). Ce que vous devez savoir sur la venue du pétrole de l’Ouest au Québec mais que les pétrolières préfèrent que vous ne sachiez pas. http://www.greenpeace.org/canada/fr/Blog/20-raisons-de-sopposer-larrive-du-ptrole-de-l/blog/46844/
Enbridge Inc. (2014). Aperçu du projet d’inversion de la canalisation 9B (phase II) et d’accroissement de la capacité de la canalisation 9. http://www.enbridge.com/ECRAI_FR/Line9BReversalProject_FR.aspx
Équiterre (2014). Projet inversion ligne 9b – Enbridge. http://www.equiterre.org/fiche/projet-inversion-ligne-9b-enbridge
Équiterre (2014). Projet Oléoduc Energie Est – Transcanada. Repéré à http://www.equiterre.org/fiche/projet-oleoduc-energie-est-transcanada
Gignac, R. et Schepper, B. – Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) (2013). Projet d’oléoduc de sables bitumineux «Ligne 9B» : le Québec à l’heure des choix. http://iris-recherche.qc.ca/publications/oleoduc
TransCanada Corporation (2014). Le projet – Un oléoduc de l’Ouest vers l’Est. http://www.oleoducenergieest.com/about/le-projet/